[10/09/2019] Le Distrait (Gaumont)

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pak
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[10/09/2019] Le Distrait (Gaumont)

Message par pak » 14 sept. 2019, 15:24

J'ai une tendresse particulière pour Pierre Richard et ses films des années 1970-80, car ce sont des souvenirs de télévision comme l'ont été d'autres comme, en vrac, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Annie Girardot, Les Charlots, etc... Des gens qui squattaient l'écran de la télévision à l'époque où il n'y avait que trois chaines, ceux des salles aussi, populaires, qui avaient un succès que les jeunes d'aujourd'hui qui se bousculent dans les salles pour suivre les sagas Marvel, DC Comics et autres grosses productions américaines ne soupçonnent pas, et qui trouveraient sûrement leurs films ringards, c'est normal, la roue tourne, le temps passe...

Le Distrait est la première réalisation de Pierre Richard, poussé par Yves Robert (qui produit d'ailleurs), détectant en l'acteur un comique différent des autres, qui, quelque part, ramène à la gestuelle des comiques du muet comme Stan Laurel, la parole en plus. C'est d'ailleurs caractéristique du personnage qu'il va créer et faire vivre pendant une vingtaine d'années, un homme décalé de son époque, de sa société, comme s'il s'était trompé de monde, et qu'il devait faire avec, ou tout du moins essayer. Et bien-sûr, il va se heurter à la méchanceté, à la bêtise, à la mesquinerie, comportements qu'il ne comprend pas. On pourrait même presque dire, pour ses premiers films, que par un extraordinaire tour de la Nature, c'est un enfant qui s'est vu enfermé dans un corps d'adulte, devant ainsi composer avec cette étrange dualité que sont la naïveté et la découverte constante du monde qui l'entoure face à ses envies d'adultes (notamment l'amour, provoquant des maladresses récurrentes mais cocasses avec les femmes).

Le Distrait présente donc le prototype de ce personnage lunaire et maladroit. Le côté enfance est y appuyé, à travers son imagination débordante mais surréaliste, et aussi via l'aide maternelle puisque c'est sa mère qui lui fera décrocher son premier emploi. Avec ce Pierrot trébuchant plongé dans le milieu de la publicité (qui déjà agace, et sera la cible d'un autre trublion, plus mordant lui, à savoir Jean Yanne qui va la dézinguer, entre autres sujets, dans Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil deux ans plus tard, tandis qu'en 1969, Gérard Pirès l'égratignait déjà dans Erotissimo avec comme acteur principal... Jean Yanne ! ), on assiste à la confrontation entre une forme d'innocence et le cynisme commercial.

Pierre Richard imagine et image ce que pourrait donner la réaction de gens dit normaux face à un énergumène qui ne fonctionne pas comme eux, qui ne fait jamais ce qu'on attend de lui, sans que lui-même d'ailleurs le fasse exprès. Dès la scène d'ouverture du film, le ton est ainsi donné. La situation est banale : la circulation dense d'une ville est surveillée de prêt par un policier, bref le quotidien d'un jour de semaine à l'heure de pointe. Un homme arrive, Pierre Richard, et veut traverser. D'aucun attendrait qu'un feu passe au rouge, attendant sur le trottoir face à un passage piéton. Lui non. On le retrouve, déjà perdu, slalomant entre les voitures l'injuriant à coups de klaxons, perdant la moitié de ses affaires sur la voie publique, perdant l'autre dans un taxi qui part sans lui, et il finit par confondre une voiture de police avec un taxi après avoir fait un câlin au gardien de la paix faisant la circulation les bras en croix... Soit une démonstration en quelques minutes de ce qu'il sera dans les années à venir, un grain de sable dans les rouages du quotidien, se heurtant à l'autorité sans calcul, avec une connexion mentale à part, où ce que voient ses yeux et ce qu'en interprète son cerveau n'ont pas un rapport immédiat entre eux, ce qui provoquent chez lui de drôles de confusions et situations burlesques.

De plus, l'intérêt des premiers films réalisés par Pierre Richard est rehaussé par le regard qu'il pose sur sa société contemporaine. Avec le temps il perdra cet aspect critique de son œuvre pour verser dans un comique plus commercial, parfois réussi (le duo qu'il va former avec Gérard Depardieu le temps de trois films pour Francis Veber), parfois raté (les années 1990 vont lui faire beaucoup de mal). Sans mordre ni vociférer, par simple décalage et du personnage et de ses réactions, un peu comme Jacques Tati, mais plus ancré dans le réel, il pointera les dérives sociales et interrogera le spectateur sur sa propre folie, puisque nous vivons dans un monde de fous, pourquoi sommes-nous donc étonnés d'en voir un, car au final qui est le fou ? Celui qui se prend la porte quand il sort d'une pièce mais qui semble imperméable aux us et usages habituels ou celui qui est sidéré par ce comportement mais qui a accepté ces us et usages ? Mais même sans cela, il y a des moments franchement drôles, sans parler de la douce poésie aussi touchante que marrante qui se dégage de la rencontre de Pierre Richard avec Paul Préboist.

Comme beaucoup, j'ai lâché Pierre Richard à la fin des années 1980. La décennie suivante a cassé quelque chose, comme s'il n'y avait plus de place pour son humour, dont la dernière réalisation, en 1997, Droit dans le mur, le fera littéralement, d'y aller, dans ce mur, étant un échec cuisant, tandis qu'a cartonné la même année La Vérité si je mens ! : les temps ont changé...

Saluons une nouvelle fois Gaumont pour son travail de restauration, ou remercions la télévision numérique, pour une fois, quel drôle de paradoxe d'ailleurs, puisque la télévision a grandement contribué à faire baisser la fréquentation des salles depuis sa généralisation dans les foyers, et en même temps son évolution technique permet à plein de films de trouver une seconde jeunesse afin de répondre à la demande de haute définition télévisuelle.

Après son édition d'avril 2011, Gaumont propose donc le film en Blu-ray, agrémenté d'un entretien avec Pierre Richard de 30 minutes, qui reviendra sur son parcours et la façon dont il est arrivé derrière la caméra, puis sur le tournage en lui-même, sans langue de bois. A cela s'ajoutent un module sur la restauration du film, et la bande-annonce.

Dans les bacs depuis le 11 septembre.


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Dans la guerre, il y a une chose attractive : c'est le défilé de la victoire. L'emmerdant c'est avant...

Michel Audiard

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