Violette et François - 1977 - Jacques Rouffio

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Moonfleet
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Violette et François - 1977 - Jacques Rouffio

Message par Moonfleet » 27 juin 2019, 13:40

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1976. Violette (Isabelle Adjani) a rompu avec sa famille bourgeoise pour vivre avec François (Jacques Dutronc), un doux rêveur marginal avec qui elle a eu un bébé. Leur liaison est chaotique d’autant que François est incapable d’assumer une vie de famille ‘normale’. Ils habitent dans un petit appartement et vivotent avec difficulté, Violette venant de se faire licencier de la banque dans laquelle elle travaillait, François n’arrivant guère à garder une place plus longtemps que sa compagne, son seul rêve étant de fonder un journal avec des copains. Ils gagnent tout juste de quoi nourrir leur enfant et pour y parvenir sont même parfois amenés à voler quelques vivres dans les supermarchés. Violette réprouve néanmoins ces agissements et tente de ramener François à la raison ; pour mettre fin à une dispute à ce sujet, Jacques demande Violette en mariage, lui promettant dans le même temps de devenir respectable. Mais ses bonnes résolutions sont de courte durée et, après quelques échecs dans de ‘petits boulots’, il reprend ses larcins. Violette, fascinée par son habileté, finit par se prendre elle aussi au jeu. Ils se mettent alors tous deux à pratiquer de manière organisée le vol à l’étalage. Les risques encourus sont grands et Violette se fait pincer ; un peu plus tard c’est au tour de François d’être remis à la police. Tant d’humiliations finissent par faire se fissurer le couple…

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Entre Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis, le jubilatoire dytique d’Yves Robert en cours, Jean-Loup Dabadie s’accorde une pose, "une parenthèse désenchantée" (comme décrit assez justement Violette et François, le texte en préambule de l’entretien avec Jacques Rouffio que l’on peut trouver sur le DVD Tamasa) en écrivant ce scénario-roman qui sortira d’ailleurs en librairie en même temps que le film en salles. Pas assez drôle pour Yves Robert, pas assez dramatique pour Claude Sautet, l’adaptation cinématographique est alors proposée à Jacques Rouffio malgré le fait que ses films précédents n’étaient absolument pas dans la même veine. En effet, L’Horizon, d’après un scénario de Georges Conchon, dessinait les portraits de déserteurs durant la Première Guerre Mondiale alors que, seulement 10 ans après à cause de l’immense bide de son premier essai, 7 morts sur ordonnance, toujours sous la plume de George Conchon, était d’après un fait divers meurtrier une virulente critique du fonctionnement de certains hôpitaux dirigés par des conseils d’administration entièrement dévoués et soumis à des clans familiaux tyranniques et inhumains. Jacques Rouffio vient cette fois de remporter un grand succès populaire avec ce film coup de poing et on vient néanmoins le chercher pour s’engouffrer dans un univers en demi-teinte à priori en tout point opposé aux précédents, la réussite étant cependant une fois encore au rendez-vous. Une réussite aussi bien artistique que commerciale puisque Violette et François obtiendra un joli résultat au box-office. Pour l'anecdote, il restera toujours un des films préférés de Jacques Dutronc.

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Tout d’abord assistant de Henri Verneuil (sur son plus beau film, Des gens sans importance) Jean Delannoy (Obsession), Gilles Grangier (Le Rouge est mis ; Le Gentleman d’Epsom), Bernard Borderie (quelques uns de la série des ‘Gorilles’) ou Georges Franju (La Tête contre les murs), Jacques Rouffio fait donc ses armes durant les années 50, côtoyant dès le début non seulement des cinéastes chevronnés mais également, parmi les comédiens, de très grosses pointures au fort charisme tel Jean Gabin. Il n’aura du coup pas beaucoup de peine à diriger pour 7 Morts sur ordonnance des acteurs aussi célèbres que, excusez du peu, Michel Piccoli, Charles Vanel, Jane Birkin et Gérard Depardieu. Un an plus tard, il réalise donc Violette et François avec Isabelle Adjani, Jacques Dutronc, Françoise Arnoul et Serge Reggiani. Il refera juste après de nouveau équipe avec George Conchon pour l’inénarrable et hilarant Le Sucre avec cette fois le duo Gérard Depardieu et Jean Carmet, satire corrosive du monde financier et boursier. Les deux artistes se retrouveront en 1986 pour une dernière collaboration, Mon beau-frère a tué ma sœur, une comédie avec Jean Carmet et Michel Piccoli. Mais revenons-en au film qui nous concerne, le troisième signé par Rouffio, chronique douce-amère qui narre les pérégrinations d’un jeune couple d’asociaux qui va tomber dans la spirale du vol à la tire, commençant dans le seul but de subvenir à leurs besoins mais finissant par y prendre goût au point de ne quasiment plus prendre de plaisir autrement qu’en côtoyant le danger grandissant au fur et à mesure qu’ils inventent de nouvelles techniques de chapardages de plus en plus culottées, qu’ils escamotent de la marchandise de plus en plus couteuse. On les verra d’ailleurs à plusieurs reprises tomber dans les bras l’un de l’autre et faire l’amour après qu’ils aient frôlés l’arrestation, leur désir naissant le plus souvent de la montée d'adrénaline suite aux prises de risque.

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Violette et François est une œuvre fragile et sans véritablement d’intrigue bien charpentée mais qui s’avère déjà, surtout pour nous spectateurs d’aujourd’hui, un fort intéressant témoignage sociologique sur le Paris du milieu des années 70, ses rues et ses boutiques, ses habitants et ses modes… Il s’agit sinon de ce qu’il est communément appelé une chronique douce-amère mais, contrairement à ce que l’on aurait pu croire de prime abord à la lecture du sujet, à la vision de l'affiche et connaissant le style Dabadie, plus bien plus amère que douce ; une amertume que l’on décèle dès le générique, témoin les premières images qui, après le titre du film en police de caractère romantico-kitsch et assez fleur bleue, s’avèrent immédiatement en porte-à-faux avec ce titre, assez ‘déplaisantes’ pour le spectateur, mettant ce dernier d’emblée dans une position inconfortable. Sur les premières images alors que défilent le nom des participants au film, au lieu d’une musique attendue, on assiste derrière une porte vitrée, à une altercation verbale entre deux personnes, le directeur d’une banque et une femme qu’il est en train de mettre à la porte : donc, en lieu et place d’une superbe mélodie comme savait si bien les composer Philippe Sarde, ce seront plus d’une minute ininterrompue de cris stridents et de grincements de dents, de claquement de portes et d’insultes. Et de nous sentir, comme les autres employés de la banque qui y assistent, assez gênés voire vite agacés. Le plan suivant voit cette même femme, désormais licenciée, dans son misérable appartement, pleurant en donnant à manger à son jeune bébé qui, devant inconsciemment ressentir la tension chez sa mère, braille à son tour avec des cris perçants. Si Jacques Rouffio n’est cette fois pas là pour nous offrir une nouvelle peinture corrosive de la société, il nous la décrit néanmoins loin d’être paradisiaque, nous plaçant sans attendre au sein de situations guère rassurantes, guère détendues. Et c’est une des premières qualités de son film que de nous prendre immédiatement à contre-courant des comédies romantiques ou chroniques de moeurs habituelles où très souvent la complicité entre les personnages principaux précède les problèmes, histoire de nous faire d'emblée éprouver de l'empathie à leur égard.

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Autre situation assez inconfortable pour le spectateur : se retrouver témoin des vols à la tire de notre couple, se surprenant alors à de nombreuses occasions à trembler pour eux, se faisant finalement les complices involontaires de protagonistes aux comportements immoraux. Les auteurs ne sont cependant évidemment pas là pour nous faire une apologie de la rapine ou de cautionner le comportement de leur duo (durant la première partie du film, Violette reproche d'ailleurs aussi à son compagnon ses chapardages), se contentant d’être eux aussi les témoins d’une situation qu’ils sont les premiers à déplorer, leurs touchants protagonistes n’allant d’ailleurs pas en sortir grandis à l’image de ce final ouvert et désenchanté qui ne nous donne guère d’espoir en l’avenir de Violette et François, le splendide thème musical principal de Philipe Sarde jusque là attribué à la clarinette étant réorchestré pour l'occasion pour la mandoline avec son côté 'Vivaldien' assez bouleversant. Qu’on se rassure néanmoins, les moments de complicité et de gaieté sont bien présents tout au long du film qui, bien qu’assez âpre, n’en demeure pas moins rempli de touches légères et humoristiques. Isabelle Adjani (rayonnante) et Jacques Dutronc sont tous deux très convaincants, les exagérations théâtrales de l’actrice, parfois pénibles dans d’autres films, correspondant ici au contraire parfaitement à son protagoniste à vif, Dutronc étant lui aussi égal à lui-même, un doux rêveur marginal et égoïste comme dans de nombreux de ses autres films. Pas vraiment de surprises de leur part mais un travail qui paye puisqu’ils arrivent à nous être attachants malgré leurs personnages pas toujours aimables que Rouffio et Dabadie se gardent d’ailleurs bien de juger, à l'instar de cette scène qui nous fait nous rendre compte que François a des maîtresses (très belle séquence avec Sophie Daumier). Alors que nous nous serions attendu à ce que Violette l’apprenne par la suite, on n’en fera plus cas comme pour nous faire comprendre que l’inconscience de François passe par tout un tas de comportements qui ne doivent cependant pas servir à rendre encore plus dramatique la situation initiale. Avec intelligence, Dabadie refuse la pathos, ne se sert donc pas de l’adultère comme d’un ressort dramatique mais pour affiner le portrait de son personnage inconséquent.

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Violette et François trace donc le portrait de sympathiques mais infantiles rebelles, "consternante image de la jeunesse contemporaine" (dira leur avocat) pour une société qui juge ainsi la plus jeune génération comme ce sera d’ailleurs dans la réalité toujours le cas, ce qui nous prouve bien deux choses : que les adultes ont très souvent et malheureusement la mémoire courte, ne se souvenant plus avoir été lors de leurs années de collège et lycée dans le collimateur de la génération précédente ; que les idées réactionnaires ont la vie dure et qu'elles finissent trop souvent par supplanter la saine tolérance. On en viendrait presque à encourager ces jeunes délinquants et leur volonté de transgression face aux adultes bornés qui ne cherchent pas à comprendre comment ils en sont arrivés là et à réfléchir à comment soigner le problème à sa source (ici peut-être la société de consommation qui commence à prendre de l'ampleur, ses dérives et ses délires). Et l’ambigüité est d’autant plus forte en l’occurrence que Violette et François sont plus des insouciants (ils oublient le bébé sur le pas de la porte alors qu’ils s’apprêtent à faire l’amour), et des irresponsables que de véritables victimes de la société, Violette ayant coupé les ponts avec sa famille bourgeoise, François étant juste incapable d’assumer une vie normale par fainéantise et par refus de se fondre dans les règles d’une société capitaliste avant tout basée sur le travail. Comme on peut le constater, le film de Jacques Rouffio est une chronique qui fait pourtant nous poser pas mal de questions sur notre société et l’effondrement de certaines valeurs morales tout en dressant le portrait d’une certaine jeunesse romanesque, mal dans sa peau et en mal de vivre. Le cinéaste, à l’aide de dissonants mais jolis effets de montage et de réalisation, participe à ce ton grave et désillusionné ainsi qu’à cet inconfort. L’environnement est bien reconstitué, l’air du temps bien rendu, le trait précis et nuancé et la description des vols à la tire presque documentaire. On ne s’ennuie donc jamais malgré quelques baisses de rythmes et de séquences plus ou moins réussies.

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Aux côtés d’Isabelle Adjani et Jacques Dutronc, on trouve toute une tripotée de seconds rôles assez savoureux, tels ceux interprétés par Léa Massari, Serge Reggiani, Françoise Arnoul, Catherine Lachens ou Sophie Daumier. Dommage par contre qu’un certain manichéisme vienne pointer le bout de son nez par le fait que tous les représentants de l’ordre et de la justice soient décrits sans nuances, véritables bouledogues violents et (ou) désagréables. Malgré sa gravité, le troisième long métrage de Jacques Rouffio est une sorte de chronique de la vie de bohème tendre et généreuse composée d’une succession de scénettes tour à tour tristes ou amusantes, les premières finissant par prendre le pas sur les secondes au fur et à mesure que le vol devient non plus une nécessité mais une véritable drogue ; sa réussite repose avant tout, même si la mise en scène est tout à fait correcte, sur la qualité de son interprétation et à la tonalité d’ensemble donnée par l’immense scénariste Jean-Loup Dabadie. Pas un grand film, loin s’en faut, mais néanmoins une des innombrables jolies réussites du cinéma français des années 70 qui n’en était pas avare.
Source : DVDclassik