La Roulotte du plaisir - The Long, Long Trailer - 1953 - Vincente Minnelli

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Moonfleet
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La Roulotte du plaisir - The Long, Long Trailer - 1953 - Vincente Minnelli

Message par Moonfleet » 21 juin 2019, 14:59

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La Roulotte du plaisir (The Long, Long Trailer) - 1954


Juste avant de convoler en juste noce, Tacy (Lucille Ball) réussit à convaincre Nicky (Desi Arnaz) d’acheter une immense et luxueuse caravane, lui faisant miroiter une vie plus facile. En effet Nicky étant toujours parti par monts et par vaux pour son travail, Tacy ne supporte plus les incessants changements de domicile et pense qu’une maison itinérante serait de loin la meilleure solution pour le bien-être de leur couple. Et les voilà partis en lune de miel avec ‘maison’ et voiture neuve, la précédente n’étant pas assez puissante pour remorquer un tel ‘monstre’. Non seulement la conduite ne s’avère pas très aisée mais entre la Californie et le Colorado le couple va vivre un véritable enfer d’autant plus quant il prend à Tacy la lubie de collectionner des pierres pour se souvenir de tous les endroits où ils ont fait une halte. Le passage d’un col situé à 2500 mètres d’altitude va se révéler pour le moins dangereux. L'entente du couple va-t-elle résister à tant de situations cauchemardesques ?!

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“- Been married long?
- About 31 years.
- Have many fights?
- Nope.
- Then take my advice: don't buy a trailer.”


Et en effet, à moins que ça ait été ironique, les distributeurs français n’ont probablement pas eu le temps de voir le film avant de décider d’un titre comme La Roulotte du plaisir pour ce 15ème opus de Vincente Minnelli ; car si le spectateur pourra probablement y prendre du plaisir, ce n’aura pas été le cas de notre couple à l’écran comme à la ville, celui formé par Lucille Ball et Desi Arnaz, duo très populaire Outre-Atlantique mais qu’une grande majorité du public français ne connait probablement pas.

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Les deux partenaires, mariés depuis 1940, connurent une célébrité accrue dès 1951, année de lancement de leur show télévisé I Love Lucy ; ce fut même à cette époque l’un des couples les plus célèbres aux USA, à tel point que tous les lundis soir entre 21 et 21h30, heure de diffusion de la série, la circulation dans les rues des grandes villes américaines était parait-il très calme, le nombre de communications téléphoniques en chute libre. Vu aujourd'hui de l'Hexagone, une telle renommée pourra paraître assez surprenante mais en ce qui nous concerne, il est fort probable que certains aient au moins déjà vu Lucille Ball sans savoir son nom ; il s’agit en effet de la comédienne qui se coulait dans le costume de la dompteuse de femmes-panthères dans le numéro d'ouverture de Ziegfeld Folies, l’un des meilleurs segments de cette comédie musicale de Minnelli dans l’ensemble assez médiocre. Le couple ne tournera ensemble que dans trois films, leur succès sur la petite lucarne étant tel que, au dire du producteur Pandro S. Berman, ses supérieurs à la MGM n’avaient jamais été très enthousiastes à les faire tourner, se demandant si les spectateurs allaient se déplacer en salles pour les voir alors que toutes les semaines ils les avaient gratuitement dans leur salon ("MGM subscribed to the theory that the audience wouldn't pay to see actors they could get at home for free"). Alors qu’au final, grâce à leur présence, La Roulotte du plaisir sera l'un des plus gros succès commercial du cinéaste. Pour les amateurs de séries des années 60, il leur sera probablement intéressant de savoir que le couple créa sa propre société de production Desilu (Desi Arnaz / Lucille Ball) grâce à laquelle non seulement I Love Lucy pût voir le jour mais également les premières saisons de, excusez du peu, Les Incorruptibles, Star Trek, Mannix et Mission impossible. Au moins pour avoir permis de faire naitre ces séries, le couple méritait bien un petit paragraphe en hommage.

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Avoir réalisé coup sur coup Un Américain à Paris (An American in Paris), Les Ensorcelés (The Bad and the Beautiful) et Tous en scène (The Band Wagon) fait qu'en cette année 1954, Vincente Minnelli est devenu le cinéaste le plus prestigieux de la Metro-Goldwyn-Mayer. Qui aurait alors parié sur un Minnelli méchamment iconoclaste, frayant avec le burlesque et le mauvais goût ? Le dytique Le Père de la mariée (The Father’s of the Bride) / Allons donc papa (Little fathers’ Dividend) aurait pu le laisser présager mais La Roulotte du Plaisir le démontre et l’entérine. Ce quinzième film du cinéaste narre le voyage de noces d'un couple venant d'acquérir en guise de maison une immense et luxueuse caravane. Le périple que constitue leur traversée des USA entre la Californie et le Colorado va vite se révéler être un pur cauchemar... Cette œuvre certes mineure au sein de la filmographie 'minnellienne' et qui formellement ne paye pas de mine (surtout en comparaison de nombreux autres films du cinéaste) n'est plus seulement une comédie de situations comme celles qu’il avait réalisé auparavant mais un véritable jeu de massacre passant à la moulinette ‘l'American Way of Life’ et la société de consommation américaine. Peut-être pour mettre à mal la réputation (infondée d'ailleurs) qu'il s'était faite avec Le Chant du Missouri (Meet Me in St-Louis) d'un réalisateur nostalgique, passéiste et chantre de la famille, il fonce alors tête baissée dans l'outrance et la description de personnages tous plus antipathiques, fades ou idiots les uns que les autres : à ce propos la dévastation de la maison familiale se révèle fortement jouissive, d’autant plus lorsque l’on sait qu’il s’agit de celle qui servait déjà de décor à la sublime mais gentille comédie musicale que l’on évoquait ci-dessus.

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Le risque avec cette galerie de personnages peu attachants était le manque d'empathie du spectateur à leur égard ; et certes il est vrai que tous les protagonistes ne s’avérant pas spécialement sympathiques, on finit par se moquer un peu de ce qui leur arrive, trouvant le tout parfois un peu trop mécanique et systématique ; et effectivement aussi, le film met parfois plus mal à l'aise qu’il ne fait rire et sera perçu selon les spectateurs comme fortement déplaisant ou au contraire très réjouissant de par sa puissante mais amusante misogynie ; un machisme de surface car l’on sait parfaitement bien que l’élégant et sensible cinéaste n’en possédait pas une once. De plus, si incontestablement toutes les femmes s’avèrent ici totalement insupportables de par leur idiotie, leurs incessants babillages et leurs gloussements, Minnelli n’est guère plus tendre envers la gent masculine, les hommes n’étant pas non plus épargnés même si moins nombreux à apparaitre sur le devant de la scène. Le réalisateur nous délivre donc un pur cauchemar éveillé de 90 minutes au cours duquel il ne nous laisse aucun répit, le personnage de Nick souffrant le martyr un peu comme le chat Tom lorsque Jerry s’acharne sur lui alors même que son ‘compagnon’ de maisonnée à décidé de signer une trêve. On est presque à plaindre le pauvre Nicky lorsqu’il se voit obligé de faire se redresser la caravane en devant s'étaler dans la boue et sous la pluie, lorsqu’il se trouve pris en tenaille entre une vingtaine de harpies le bousculant et lui hurlant dans les oreilles ou encore lorsque la nuit de noces tant attendue se voit sans cesse repoussée, situation souvent cocasse et irrésistible qui annonce celles de la plupart des ‘Sex Comedy’ des années 60 dont les plus célèbres avec Doris Day et Rock Hudson/James Garner.

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Outre ses innombrables gags et situations quasi burlesques (Nicky préfigure un peu l'inspecteur Clouseau de Blake Edwards) écrits par cet autre célèbre couple de scénaristes constitué par Albert Hackett et Frances Woodrich (La Vie est belle – It’s a Wonderful Life de Capra ; Parade de printemps – Easter parade de Charles Walters…), on trouve aussi au sein du film un score bien agréable composé par Adolph Deutsch, le duo entonnant d'ailleurs le thème principal lors d'une scène très sympathique, véritable bouffée d’air frais au milieu de ce cauchemar ; une splendide photographie -on s'en rend compte dès la première séquence nocturne et pluvieuse- en Anscocolor, procédé moins chatoyant que le Technicolor mais qui met remarquablement bien en valeur les tons pastels, touches de couleur avec lesquelles Minnelli s'est toujours régalé ; des seconds rôles assez savoureux comme ceux interprétés par Marjorie Main ou encore Keenan Wyn en policier peu loquace ; une mise en scène pas nécessairement voyante mais cependant très réussie, que ce soit au niveau du rythme, de l'élégance des mouvements de caméra ou de la beauté des cadrages. La seconde équipe nous offre même de magnifiques plans d'extérieurs de la caravane passant à travers de somptueux paysages du Parc National de Yosemite. Enfin, quelques petits plaisirs supplémentaires non négligeables apportés par les Private Jokes : la salle de cinéma devant laquelle la caravane stoppe au centre ville propose à l'affiche…The Band Wagon ; le film que décrit Lucille Ball lors de la montée vertigineuse finale n'est autre que Lame de fond (Undercurrent) ; enfin, la maison familiale dévastée est, comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, celle qui a servi au tournage de Meet Me in St-Louis.

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Œuvre mineure au sein de la magnifique filmographie de Vincente Minnelli mais néanmoins étonnante de la part d’un cinéaste qu’on avait du mal à imaginer signer une pareille comédie qui ne ménage aucun de ses protagonistes, certes amusante mais également, malgré son Happy-End de façade et derrière son apparence de film familial bon enfant, redoutablement grinçante. L’année suivante, le réalisateur allait accoucher selon moi de l’un des plus beaux films du monde avec Brigadoon ; alors que c’est la magie qui dominera au sein de cette comédie musicale, une séquence fera fortement penser à La Roulotte du plaisir, celle cacophonique se déroulant dans un bistrot de New-York. On sent alors comme une fêlure chez Minnelli à cette époque, le cinéaste passant sans cesse de la méchanceté la plus acerbe à la mélancolie la plus déchirante. Quoiqu'il en soit, The Long, Long Trailer est une réussite de la comédie familiale à tendance 'trash' avec de réels morceaux de bravoure comme l’apprentissage du remorquage de la caravane par Desi Arnaz, sa séquence de douche cauchemardesque, la chute (le vol) de Lucille Ball dans la boue, la préparation de la salade dans une caravane cahotante ou encore la montée finale sur la route de montagne. Une fois terminé le visionnage du film, vous n'aurez qu'une envie... rester tranquille et bien au chaud chez vous !
Source : DVDclassik