Elle et lui - An Affair to remember - 1957 - Leo McCarey

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Moonfleet
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Elle et lui - An Affair to remember - 1957 - Leo McCarey

Message par Moonfleet » 21 juin 2019, 13:28

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Sur un paquebot de croisière revenant à New York, se rencontrent Nickie Ferrante (Cary Grant), célèbre play-boy sur le point de rejoindre sa fiancée, une riche héritière, et Terry McKay (Deborah Kerr), ex-chanteuse de cabaret, promise elle aussi à un riche parti texan. S’ennuyant durant ce long voyage, ils vont apprendre à faire connaissance en tout bien tout honneur ; mais leur attirance mutuelle va se faire de plus en plus prégnante après leur halte idyllique à Villefranche-sur-Mer chez la grand-mère de Nickie. Veuve, la vieille dame n’attend désormais qu’une seule chose avec sérénité, rejoindre son époux qui fut l’amour de sa vie. Durant ces quelques heures en dehors du temps, elle fait sous entendre à ses deux charmants visiteurs qu’elle les sent faits pour mener leur existence ensemble. Durant la dernière partie de leur traversée, ils vont finir par tomber dans les bras l’un de l’autre après s’être avoué leurs sentiments. Mais, avant de prendre de difficiles décisions quant à leurs partenaires respectifs et afin de mesurer la force de leur amour et leur détermination à reprendre un travail pour pouvoir subvenir aux besoins de leur futur couple, ils se donnent six mois l’un sans l’autre avant de se donner rendez-vous en haut de l’Empire State Building, leurs retrouvailles devant marquer la demande en mariage. Mais le jour donné, Terry n’est pas au rendez-vous…

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"Our love affair is a wondrous thing
That we'll rejoice in remembering
Our love was born with our first embrace
And a page was torn out of time and space
Our love affair, may it always be
A flame to burn through eternity
So take my hand with a fervent prayer
That we may live and we may share
A love affair to remember"


Telles sont les paroles écrites par Leo McCarey en personne pour la chanson interprétée par le crooner et comédien Vic Damone lors du générique de début de cette seconde version de Elle et lui. Tout est déjà dit et ressenti ; la douceur, la pureté, la mélancolie et le romantisme du film sont déjà entièrement contenus dans ces deux strophes et leur mise en musique. An affair to Remember, le film qui aura remis en selle Leo McCarey après sept ans d’absence des écrans de cinéma. En effet, en 1957, la carrière du réalisateur qui a connu un sommet plus d’une dizaine d’années auparavant avec le multi-oscarisé La route semée d'étoiles (Going my Way), marque un peu le pas. C’est alors qu’il a pour idée de refaire son mélodrame datant de 1939 avec les nouveaux moyens de l’époque, estimant que cette histoire d’amour est non seulement intemporelle mais également universelle : "La mutation de la société n'a tout de même pas supprimé radicalement le rêve, ni le besoin d'émotions amoureuses." Il gardera toujours une préférence pour la première mouture mais le succès phénoménal de la seconde le ravira tout autant.

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Quant à donner un avis sur le film, pas évident de passer après le superbe texte signé Olivier Bitoun à propos de la première mouture de cette même histoire, déjà donc réalisée par Leo McCarey pratiquement 20 ans plus tôt ! En effet, pour l’avoir relu avec la plus grande attention, on pourrait quasiment écrire la même chose à la virgule près de ce remake en couleurs et en cinémascope dans lequel Cary Grant et Deborah Kerr reprennent les rôles tenus auparavant par Charles Boyer et Irene Dunne. Car, faits assez rarissimes dans l’histoire du cinéma, An Affair to Remember est l’un des rares quasi décalque d’un film par un cinéaste ayant déjà réalisé l’original. Les précédents célèbres furent Alfred Hitchcock refaisant L’Homme qui en savait trop ainsi que Franck Capra mettant en scène Milliardaire pour un jour trente ans après sa première version prénommée en français Grande dame d'un jour. Mais, alors que les différences sont quand même assez importantes concernant ces deux derniers exemples, An Affair to Remember reprend quasiment plan par plan la construction et l’écriture de son aîné, Love Affair. Ce qui au final rapproche plus cette ‘paire’ unique des Elle et lui du duo Psychose/Psycho par Alfred Hitchcock et Gus Van Sant. Quoi qu’il en soit, les deux films de McCarey peuvent tout autant s’apprécier l’un que l’autre sans qu’il n’y ait sentiment de répétition du fait des comédiens différents, du passage du noir et blanc à la couleur, des années 30 aux années 50 et du format 1.37 au format large 2.35. Le ton, l’atmosphère et le rythme ne sont également pas tout à fait semblables.

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Dans Love Affair, le rythme de la première partie était plus rapide ; nous étions plus proches de la Screwball Comedy dont c’était alors l’âge d’or en ce milieu des années 30. Malgré le prologue qui ne préfigure pas le ton à venir, celui qui nous montre d’une manière gentiment satirique des journalistes de différentes radios américaines, italiennes et anglaises, relater le voyage et les frasques du célèbre tombeur joué par Cary Grant, An Affair to Remember est d’emblée plus posé, plus doux, plus feutré et pour tout dire encore plus romantique que son prédécesseur. La première partie se déroule donc à bord du paquebot ramenant les deux futurs rentiers en Amérique où ils doivent retrouver leurs conjoints respectifs. S’étant rencontrés pour vaincre l’ennui qui s’emparait irrémédiablement d’eux durant cette interminable croisière, Nickie et Terry passent de bons moments à se livrer à des joutes verbales pleines de sous entendues, à flirter gentiment avec les mots, rivalisant de réparties plus spirituelles les unes que les autres sans que ça ne fasse jamais mécanique mais au contraire comme si tout coulait de source. Si ces dialogues possèdent une telle fluidité, une telle finesse et une telle profondeur psychologique, c’est non seulement grâce à la perfection du travail d’orfèvre de Delmer Daves mais aussi aux talents des deux comédiens principaux qui se les approprient avec un naturel confondant. Car il faut d’emblée se rendre à l’évidence : que ce soit Cary Grant ou Deborah Kerr, malgré de magnifiques carrières pour chacun d’entre eux, ils ont rarement été aussi bons sans avoir eu besoin de trop en faire ; au contraire, leur jeu d’acteur est tout dans la subtilité et la demi-teinte.

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Si l’acteur cabotine moins qu’à l’accoutumée, jouant son personnage de séducteur avec beaucoup de retenue et parfois même une certaine gravité, sa partenaire, toujours d’une parfaite élégance, nous avait rarement habitué à jouer un personnage aussi libéré, aussi pétillant de drôlerie et d’intelligence. Dommage que peu de réalisateurs n’aient auparavant mis en valeur son sens de la comédie car au vu de sa performance dans le film de McCarey, Deborh Kerr prouvait qu'elle possédait un énorme potentiel dans ce répertoire. Ce qui est certain concernant l’interprétation des deux comédiens, c’est que leur complicité est palpable et l’alchimie qui en découle n’en est que plus touchante, l’empathie fonctionnant ainsi à plein régime d’autant que leurs personnages respectifs sont d’une extraordinaire richesse d’écriture, tout à la fois vulnérables, spirituels, désabusés, intelligents et d’une grande noblesse de cœur. La première demi-heure est ainsi un parfait modèle de comédie américaine sophistiquée, parfaitement rythmée et réalisée, nous octroyant son lot de séquences totalement irrésistibles comme celle du restaurant au cours de laquelle, sans le savoir mais sous les yeux des autres passagers, Nickie et Terry se retrouvent attablés dos à dos. Tout le monde ayant précédemment été témoin de leurs manèges de séduction, la situation s’avère très cocasse, personne n’étant dupe de ce semblant d’ignorance qui était pourtant bel et bien fortuit. Ou d’autres encore, tout aussi amusantes avec notamment un enfant quelque peu indiscret.

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Puis le film change un peu de ton pour, quittant le registre enjoué, s’imprégner d’une douce et poignante mélancolie le temps d’une escale sur la Côte d’Azur au cours de laquelle Nickie invite donc Terry à l’accompagner rendre visite à sa grand-mère ; cette demi heure totalement apaisée constitue la partie du film la plus souvent adulée, à juste titre, se situant dans ce lieu ‘hors du temps’ qu’est la demeure de cette vieille dame, perchée en haut d’une colline surplombant un bras de mer de Villefranche-sur-Mer. Il s’agit bien évidemment d’un décor de studio, sorte de havre de paix enchanteur où tout n’est que sérénité, douceur et affabilité, et au sein duquel on trouve même une chapelle dédiée à la Vierge Marie. A lire cette description et cette énumération d’adjectifs doucereux, on aurait pu penser que cette demi-heure avait tout pour sombrer dans la plus grande mièvrerie ; c’était sans compter sur la prodigieuse sensibilité de Leo McCarey et de son scénariste Delmer Daves à qui une histoire semblable à celle du film serait arrivée. La comédie spirituelle fait alors place à un début de tendre romance sous le regard approbateur de cette vieille dame ayant ressenti comme une évidence que Nick et Terry étaient faits l’un pour l’autre, ne souhaitant plus qu’une seule chose, qu’ils connaissent le même indéfectible bonheur que ce fut le cas pour son couple. La grand-mère, en plus de sa sagesse, incarne le parfait modèle de l’amour conjugal accompli et inaltérable, au point désormais de n’attendre qu’une chose avec une patience infinie, que son existence sur terre se termine afin de pouvoir rejoindre son mari défunt. La tendresse des auteurs, la délicatesse des objets, costumes et décors, l’onctuosité des intérieurs ainsi que le génie des acteurs annihilent totalement ce que ce segment aurait pu avoir de mièvre et de pudibond pour en faire au contraire un pur moment de grâce quasi-mystique.

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Un coup de sirène venant mettre fin à cette parenthèse enchanteresse, déchirant par la même occasion le cœur de la vieille femme qui n’est pas dupe quant au fait qu’à son âge elle ne reverra probablement jamais plus son petit-fils, Nickie et Terry repartent alors pour la fin de leur voyage jusqu'aux USA. C’est durant cette dernière partie de leur traversée de l'Atlantique qu’ils tombent dans les bras l’un de l’autre dans un plan et par l’intermédiaire d’une idée de mise en scène qui font parfaitement comprendre l’admirable pudeur et la sensibilité de l’œuvre entière. Sur le pont du bateau à la nuit tombée, alors que leurs mains se joignent avec amour pour la première fois, ils commencent à monter un escalier jusqu’au pont supérieur ; leur attirance mutuelle leur faisant comprendre qu'ils ne peuvent plus passer outre ni plus attendre, voilà que se produit leur premier baiser ; premier baiser que l’on ne verra pas, la caméra s’étant délicatement arrêtée comme si elle souhaitait se faire discrète, surprise par cet élan soudain de passion, le haut du corps des amoureux étant déjà caché par l’escalier, ne filmant plus que leurs jambes qui se rejoignent les unes contre les autres. S’ensuit une sorte de suspense des sentiments, plus les jours approchent de l’arrivée au port de New York, plus leur histoire d’amour est sur le point de se terminer alors qu’ils sont en train de vivre des moments de complète félicité. Étant désormais presque certains que leur couple pourrait les conduire à s’aimer jusqu’à la fin de leur existence, le souvenir de la grand-mère encore bien ancré en eux, avant de prendre de difficiles décisions quant à leurs actuels partenaires respectifs et afin de mesurer la force de leur amour et leur détermination à reprendre un travail pour pouvoir subvenir aux besoins de leur futur couple, ils décident de continuer la vie new-yorkaise avec leurs conjoints comme si de rien n’était, de vivre six mois l’un sans l’autre avant de se donner rendez-vous en haut de l’Empire State Building, leurs retrouvailles devant alors marquer la reprise de leur idylle accompagnée d’une demande en mariage.

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Les auteurs en profitent pour nous dépeindre leur quotidien et nous brosser rapidement les portraits jamais méprisants ni moqueurs des ‘fiancés’, que ce soit le magnat des affaires texans ou la riche héritière, tous deux traités avec une sobre dignité, jamais vraiment caricaturés comme on pouvait s'y attendre. Comme tout le monde doit le savoir (et si ce n’est pas le cas, prière de ne pas lire la suite), seul Nickie sera au rendez-vous six mois plus tard, Terry s’étant fait renverser par une voiture au moment où elle allait atteindre "l'endroit de la ville le plus près du paradis". Dans les années 90, Nora Ephron prendra d’ailleurs comme modèle pour Nuits blanches à Seattle (Sleepless in Seattle) le film de McCarey, les personnages de son film (interprétés par Tom Hanks et Meg Ryan) n’allant se rencontrer de visu que dans les toutes dernières minutes, s’étant eux aussi donnés rendez-vous dans cet endroit devenu mythique dans l’histoire du cinéma hollywoodien, en haut de l’Empire State Building, espérant ainsi vivre une histoire d’amour aussi passionnée que les protagonistes de An Affair to Remember, film dont Meg Ryan fait souvent référence dans le courant de l’intrigue. Dans le sillage de Quand Harry rencontre Sally (When Harry Meet Sally) de Rob Reiner, et même s’il ne lui arrive pas à la cheville, ce sera grâce au film de Nora Ephron que la comédie romantique sera remise sur les rails du succès à l’époque ; et c’est aussi grâce à elle que les cinéphiles du monde entier redécouvriront le chef-d’œuvre de Leo McCarey. Malgré sa médiocrité, on lui sera gré de cette redécouverte d’un film désormais devenu culte. La dernière partie peut maintenant débuter, celle qui fera chavirer tous les cœurs à la toute dernière minute, séquence bouleversante que je ne vous dévoilerais pas mais qui vient me cueillir à chaque fois, oubliant entre chaque vision comment McCarey opère son crescendo affectif et émotionnel et quel est le véritable déclic déclenchant les larmes de bonheurs finales. Avant ça, nous aurons assisté aux longues périodes de blues nostalgique vécus par les deux amoureux pensant désormais ne plus jamais se revoir, Nickie croyant s’être fait poser un lapin, Terry et sa fierté mal placée ne souhaitant plus jamais tomber sur Nickie auquel cas ce dernier se rendrait compte de son nouvel handicap physique qu’elle tient ardemment à lui cacher.

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C’est ainsi que nous assistons au retour muet et touchant de Nickie dans la ville désormais vide de Villefranche-sur-Mer, à la rencontre impromptue et émouvante des deux ex-amants à la sortie d’un concert ainsi qu'à deux séquences qui ont fait grincer bien des dents ; il s’agit évidemment de celles (au nombre de deux) au cours desquelles l’on assiste à des chants par un groupe de jeunes enfants et adolescents. "Mièvres, niaiseux, inharmonieux, pas à leurs places"… j’ai tout lu à propos de ses deux chansons signées Harry Warren. Charmantes à croquer (comme d’ailleurs les enfants de cette chorale), elles participent au contraire pour moi à l’enchantement d’ensemble que me procure le film d’autant que d’une part elles n’arrivent pas comme un cheveu sur la soupe comme il a souvent été dit, de l’autre, que leurs paroles ne sont pas nécessairement décorrélées de l’intrigue. La première (‘The Tiny Scout’) permet de nous montrer l’activité principale de Terry, celle de s’occuper de donner des leçons de musique et de chant à un groupe d’enfants, son ancien métier de chanteuse de cabaret lui étant d’une aide certaine. La chanson évoque l’ange gardien qui veille au-dessus de notre épaule ; Terry en a bien besoin pour poursuivre une vie qu’elle estime -tout du moins en amour- définitivement brisée. Puis ce sera, autour du lit d’hôpital de Terry, la toute aussi craquante ‘Tomorrowland’ qui nous fait espérer pour la jeune femme que les lendemains seront bientôt meilleurs. Les mélodies entêtantes d’Harry Warren, le choix des trognes d’enfants ainsi que le découpage tout au moins efficace à défaut d’être surprenant, font selon moi que ces deux scènes chantées possèdent un charme fou et ne déméritent pas du reste même si je peux tout à fait comprendre qu’elles puissent en rebuter certains. Sinon, à propos de musique, il serait injuste d’avoir passé sous silence la splendide partition de Hugo Friedhofer dont le thème principal devrait lui aussi vous rester longtemps en tête.

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Au sein d’une narration toute en douceur, une belle et simple histoire d’amour qui aboutit à une comédie romantique au grand pouvoir émotionnel, constamment riche et subtile, sereine et élégante, véritable hymne à la vie en couple. Un film spirituel à l’équilibre parfait, aussi bien sur le fond que sur la forme, et qui parvient à hisser avec une grande élégance ses personnages et leurs spectateurs jusqu’à une certaine plénitude de sentiments. Un film d’une extraordinaire aisance et d’une beauté renversante grâce aussi à cette médiation en filigrane sur le temps qui passe et la mort comme aboutissement et non comme désespérance ; l’amour au-delà de la mort ! Un petit miracle cinématographique qui fait passer du rire aux larmes avec une étonnante facilité et qui sera en sorte la matrice des comédies romantiques à venir. Que c’est agréable de sentir son cœur chavirer, que c’est bon de pouvoir être cueilli de la sorte sans forcément s’y attendre ! Enchanteur et d’une tendresse infinie !

Winter must be cold for those with no warm memories...”
Source : DVDclassik