Le Garçon aux cheveux verts - The Boy with Green hair - 1948 - Joseph Losey

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Moonfleet
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Le Garçon aux cheveux verts - The Boy with Green hair - 1948 - Joseph Losey

Message par Moonfleet » 20 juin 2019, 11:39

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« N’écoute pas les gens ; tu n’as pas d’inquiétude à avoir, la terre tournera encore très, très longtemps ! »

Dans un commissariat, Peter Frye (Dean Stockwell), un jeune garçon chauve d’une dizaine d’années est interrogé par deux policiers qui n’arrivent rien à en tirer. On appelle à l’aide le Dr Evans (Robert Ryan), un psychologue qui, en partageant son maigre repas avec lui, réussit à lui faire raconter son histoire. Ses parents ayant disparu alors qu’il n’avait que cinq ans, il est successivement recueilli par plusieurs parents avant que Gramp (Pat O’ Brien), un vieil acteur de music-hall sur le déclin, le prenne sous son aile. C’est un véritable apprentissage qui commence pour Peter ; Gramp lui apprend la tolérance, l’optimisme et autres valeurs humanistes qui ne lui avaient jusqu’à présents jamais été inculquées. Peter baigne dans le bonheur jusqu’à ce qu’il apprenne par hasard qu’il est orphelin de guerre, que ses parents sont morts en aidant d’autres enfants que lui à survivre. Il semble bien accuser le coup mais en se réveillant le lendemain, il constate avec stupeur que ses cheveux sont devenus verts. Si ce fait étrange l’amuse au début, il souhaite vite redevenir comme tous ses camarades. Les fantômes d’autres orphelins de guerre lui feront néanmoins comprendre qu’au contraire, cette unicité est un signe et qu’il devrait s’en servir pour devenir leur porte-étendard, le symbole de la nécessité du devoir de mémoire.

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Après de nombreux travaux théatraux, Joseph Losey réalise dans les années 40 plusieurs documentaires éducatifs pour la National Youth Administration ; ils lui font découvrir émerveillé des comédiens à fort potentiel, les enfants. Il n’est donc pas étonnant que son premier long métrage, qui n’est autre que ce Garçon aux Cheveux Verts, en choisisse un pour personnage principal. Losey sera toujours très critique envers son premier essai ; d’une part il aurait souhaité le tourner comme si c’avait été un ‘Home Movie’, très rapidement et en 16mm, de l’autre il a toujours regretté la transformation du scénario original qui ne devait au départ être qu’une fable sur la discrimination raciale et non comme il est devenu, un apologue du pacifisme. Nous, spectateurs, ne regrettons pas ces changements voulus par les producteurs de la RKO ; les moyens lui ayant été accordés par Dore Schary (puis Adrian Scott après que le premier se soit fait virer par Howard Hughes) font de ce film une allégorie poétique plastiquement superbe et le virage pris par les auteurs pour passer d’une fable cruelle sur l’intolérance au message sincère qui consiste à faire comprendre à une majorité qu’il faudrait désormais tout faire pour qu’il n’y ait plus jamais de guerre, est grandement appréciable. Même si à postériori elle pourrait sembler d’une grande naïveté, la démonstration était, à l’époque de la chasse aux sorcièrs, sacrément courageuse. Le cinéaste et les scénaristes la payeront d’ailleurs le prix fort ; ils seront tous ‘blacklistés’.

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Dans ce doux cocon de l’univers provincial américain, la violence du rejet et des brimades que va recevoir le jeune garçon va être d’autant plus forte par contraste ; alors qu’il s’était coulé avec félicité dans cet univers idyllique, alors qu’il avait enfin réussi à se faire des amis, tous les regards vont du jour au lendemain se braquer sur lui et sa différence. Si certains vont le soutenir et ne pas le remarquer (les petites filles qui trouvent que sa chevelure est très jolie telle quelle, l’institutrice qui tentera de faire comme si la couleur verte des cheveux n’était pas plus étrange que la rousseur de certains autres), la curiosité malsaine puis inamicale d’une majorité le feront prendre la fuite. Il se retrouvera dans une forêt ou lui apparaîtront comme en rêve les orphelins de guerre de toutes nationalités qu’il avait pu voir quelques jours auparavant sur les différentes affiches demandant de l’aide pour ces enfants victimes de différents conflits mondiaux. C’est grâce à ces spectres bienfaisants, à l’amitié qui le lie à son tuteur et à l’écoute attentive du psychologue que Peter comprendra que son ‘signe particulier’ qui l’aura blessé mentalement durant un long moment et qu’il aurait voulu rejeter à tout prix est en fait un cadeau qui lui a été fait, celui d’être devenu le disciple du pacifisme et de l’optimisme. Un ‘miracle’ difficile à porter mais qu’il accepte finalement avec un enthousiasme qui rejaillit sur le spectateur : haro sur l’étroitesse d’esprit, l’intolérance et les conflits de tout ordre ; plus de catastrophisme mais une leçon à retenir de la guerre pour que plus jamais ça ne se reproduise.

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Alors certes le raisonnement n’est pas très original, le message sur l’exclusion un peu trop appuyé, la leçon d’apprentissage bien gentillette mais la générosité des auteurs est telle qu’elle finit par emporter le morceau d’autant que la mise en scène est belle (malgré quelques ratés dans les effets comme cette séquence de comédie musicale alors que Peter affabule quant à la célébrité de son ‘père adoptif’). C’est aussi sans compter sur le soin apporté à l’esthétique du film qui voit entre autres un travail remarquable sur la lumière et les décors ainsi qu’une superbe utilisation du Technicolor, ici la palette de couleurs pastel faisant d’autant plus ressortir le vert des cheveux et ‘irréalisant’ encore plus cette fable pleine d’une rare poésie. On pouvait s’y attendre dès le générique qui, sur la splendide chanson de Eden Ahbez, ‘Nature Boy’ (surtout connue pour avoir été sublimement chanté par Nat King Cole ou plus récemment reprise par David Bowie pour le Moulin Rouge de Baz Luhrman) faisait se dérouler sous nos yeux d’ors et déjà conquis de magnifiques images de natures champêtres et maritimes. Un film assez unique dans son ton et par sa forme, mélangeant avec un certain bonheur drame, fantastique, comédie de mœurs voire comédie musicale ; mais là où Losey est le plus fort, c’est dans sa volonté, malgré la faible durée de son film et sa destination à un large public, de s’appesantir sur les moments en creux, de s’arrêter deux secondes sur la partie intimiste de cette histoire, d’intégrer de l’onirisme comme si de rien n’était, de filmer uniquement des facades de maison pour raconter le parcours de l’enfance de Peter. Si ceci est dû au budget néanmoins étroit attribué au film (La Rko était alors moins importante que les Majors concurrentes), remercions cette restriction ayant fait jouer à fond l’imagination des auteurs. Quant à la direction d’acteurs, pas grand-chose à en redire d’autant que Dean Stockwell a toujours été l’un des enfants-acteurs les plus doués de sa génération. Beaucoup le connaissent depuis puisque il a été dans les années 80 l’un des acteurs fétiches de David Lynch (Dune, Blue Velvet) ou le Mafiosi élégant de Married to the Mob de Jonathan Demme. En tout cas, malgré quelques défauts et fautes de goûts, un bien curieux et joli film.

« Je crois en ce qu’il essaie de dire, je me moque de la couleur de ses cheveux ! »
Source : DVDclassik