Les Demoiselles Harvey - The Harvey Girls - 1946 - George Sidney

Liste des films critiqués
Répondre
Avatar du membre
Moonfleet
Messages : 171
Enregistré le : 23 mai 2019, 11:24
Contact :

Les Demoiselles Harvey - The Harvey Girls - 1946 - George Sidney

Message par Moonfleet » 24 mai 2019, 14:54

Image

The Harvey Girls (1946) de George Sidney
MGM


Sortie USA : 18 janvier 1946


"Fred Harvey, pour créer sa chaîne de restaurant le long du chemin de fer de Santa Fe, emmena des pionnières. Ces jolies serveuses, les Harvey Girls, firent la conquête de l'Ouest comme Davy Crockett et Kit Carson mais leurs seules armes étaient des steaks et des tasses de café". Pour la petite histoire, les Harvey House furent créés en 1870 dans le but d’accorder aux clients-voyageurs de la bonne nourriture à bon marché et dans un cadre calme et élégant. Les 84 restaurants de la chaîne furent développés dans 7 états tout au long du chemin de fer de Santa Fe.


La comédie musicale étant, après le western, mon second genre de prédilection, je pouvais difficilement passer sous silence le premier véritable mix des deux et donc ne pas évoquer The Harvey Girls. Il s’agit effectivement du premier ‘musical’ cinématographique à prendre pour décor et époque le Far-West du 19ème siècle. C'est le succès à Broadway d'Oklahoma de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein qui lança la mode et George Sidney fut le premier à s'y engouffrer pour Hollywood. Le cinéaste n'ayant jamais réalisé de western à proprement parler et s'avérant pourtant l'un de mes chouchous, les raisons étaient nombreuses pour que j'inclue ce film au sein de mon parcours chronologique. Mais trêve de justification d’autant qu’il y en aura 5 ou 6 autres à venir par la suite! (et puis d’abord je suis chez moi, je fais ce que je veux :mrgreen: !) Dans le domaine de la comédie musicale, George Sidney avait déjà réalisé les années précédentes les jubilatoires Bathing Beauty (Le Bal des Sirènes) avec Esther Williams ainsi que Anchors Aweigh (Escale à Hollywood) avec le duo Gene Kelly et Frank Sinatra ; il y avait peu de chances pour, qu’avec des chansons écrites par le duo Harry Warren et John Mercer, il ne transforme pas l’essai une troisième fois. Et non seulement il réussit l’exploit mais il fait même encore mieux que précédemment.

Image

1885. Dans le train qui la conduit à Sandrock (Nouveau Mexique) où elle doit épouser un certain H.H. Hartsey (Chill Wills), une naïve jeune fille de l’Ohio, Susan Bradley (Judy Garland), rêve à la vie qui l’attend. Elle n’a jamais vu son futur mari qu’elle ne connaît qu’à travers la correspondance qu’ils ont entretenu suite à une annonce matrimoniale. Dans son wagon, elle fait la connaissance des futures serveuses de la chaine de restaurants Harvey venues fonder une succursale dans cette ville éloignée du Far-West. Arrivé à bon port, ses espoirs romantiques s’évanouissant, Susan décide en consentement mutuel avec son ‘futur-ex époux’ de ne plus se marier. Elle souhaite néanmoins rester dans la cité bouillonnante pour faire partie des Harvey Girls. La concurrence s’avère rude avec le saloon Alhambra situé de l’autre côté de la rue ; en effet, le magistrat corrompu Sam Purvis (Preston Foster), en cheville avec Ned Trent (John Hodiak), le tenancier de l’établissement, a peur que cette ‘concurrence’ leur fasse de l’ombre. Il décide par tous les moyens détournés (incendie, menace…) de chasser les Harvey Girls de la ville. Ned, grand romantique caché, ne va pas lui être d’un grand secours puisqu’il vient de tomber sous le charme d’une d’entre elle, Susan justement. Elle apprend que, tel Cyrano, c’était lui qui écrivait les lettres au nom d’Hartsey. De prime abord très en colère, elle finit par tomber dans ses bras. Em (Angela Lansbury), une chanteuse qui dirige ‘l’escadron’ de filles légères du Saloon et qui a toujours été secrètement amoureuse de Ned, devient très jalouse de cette dernière. Le danger et le risque de ‘crêpage de chignons’ est à son comble…

Image

Un générique se déroulant avec l’image d’un train rutilant parcourant les immenses plaines de l’Ouest pour finir par longer les montagnes rougeoyantes de la fameuse Monument Valley. Un travelling descendant qui débute dans le ciel pour attraper le visage de Judy Garland debout sur la plate forme arrière d’un train derrière lequel défilent les paysages de l’Ouest américain familiers aux ‘westerners’ endurcis ; sauf que l’actrice chante une superbe ballade au cours de laquelle elle exprime ses espoirs et ses rêves à propos de sa vie future dans cette région éloignée de l’Ohio d’où elle vient mais qu’elle a voulu quitter par esprit d’aventure. La séquence suivante débute au milieu d’une rue avec ses maisons en bois la bordant et traversé par un troupeau de bêtes à corne. Au fond, les montagnes, au premier plan des cavaliers tout de noirs vêtus aux têtes bien connues par les connaisseurs du genre, celles de Jack lambert et Preston Foster. On pénètre ensuite dans un immense saloon enfumé et bariolé où s’affairent joueurs, cow-boys et filles légères ; l’amateur se sent encore en terrain connu avant qu’une spectaculaire séquence musicale annonce l’arrivée du train amenant les Harvey Girls. Nous nous rendons vite compte que nous nous trouvons au début devant un mix parfait de western et de comédie musicale ; mais il serait malhonnête d’affirmer que les amateurs de l’un et de l’autre genre pourront y trouver un égal bonheur sur la longueur. En effet, si le superbe décorum (costumes, décors, extérieurs…) est purement westernien, le ton, le style et les conventions tiennent principalement de la comédie musicale, les romances prennent vite le pas sur le mouvement et l’action. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de voir comment le ‘Musical s’approprie les codes du western. Mais il faut savoir que plus le film avance, plus l’intrigue fond comme peau de chagrin pour faire place à une suite de numéros musicaux qui devraient faire trouver le temps long à ceux qui souhaitaient voir un vrai western.

Image

D’ailleurs, c’aurait du en être un avant l’intervention d’Arthur Freed ; originellement conçu comme un drame avec la reformation du couple de Franc Jeu (Honky Tonk), Lana Turner et Clark Gable, il se transforma en comédie musicale après la désaffection de la star masculine maison déjà prise sur un tournage et après que le producteur phare de la section ‘Musical’, surpris et boosté par le succès sur scène d’Oklahoma, opère les changements qui aboutirent à cet Harvey Girls tel qu’on peut le voir aujourd’hui. Suite à tous ces changements, Gene Kelly fut même un moment pressenti pour reformer un duo avec Judy Garland après For me and my Gal. Ces multiples remaniements expliquent certainement le pourquoi de cinq scénaristes aux manettes car sinon, au vu de l’intrigue s’avérant bien banale, les arrières plan historiques et sociaux étant rapidement laissés de côté alors qu’ils semblaient devoir être passionnants, il n’y aurait pas eu de raison qu’ils soient autant pour pondre une histoire sans originalité particulière. "Fred Harvey, c'est un pas vers la civilisation. Vous êtes le symbole de l'ordre à venir" dit à ses filles, la ‘manager’ de l’équipe de futures serveuses. Et en effet, elles auront à lutter contre les prostituées, les hommes d’affaires véreux et les tenanciers de saloons et maisons de jeux ; ces derniers pressentant qu’elles pourraient malheureusement avoir de l’influence bénéfique sur les mœurs des habitants, imaginent déjà leur future faillite. La loi du plus fort qui règne encore (on ne trouve d’ailleurs pas de shérif dans cette ville) semble devoir se terminer, les demoiselles Harvey représentant la civilisation en marche ‘risquant’ de l’enterrer définitivement après avoir apaisé les esprits et les désirs. Le quintet ayant participé à l’écriture aurait approfondi cette donnée, c’aurait probablement apporté un attrait supplémentaire à ce scénario commun mais il reste fort bien écrit au demeurant, témoin une galerie de personnage très attachante et un film qui se suit sans aucun ennui malgré la quasi absence d’action et de forts enjeux dramatiques.

Image

Beaucoup ont écrit que Judy Garland portait le film sur ses épaules ; elle a beau être touchante de par sa sensibilité et son charme, c’est être sacrément injuste envers ses partenaires qui sont loin d’être des potiches. Le casting est en effet franchement réjouissant dans son ensemble. Il est déjà fort agréable de retrouver des trognes qui ont roulé leur bosse dans le genre tel Preston Foster (Les Tuniques écarlates) toujours aussi élégant et racé, les amusants Chil Wills et Marjorie Main ainsi que Jack Lambert qui, avec son inquiétant visage, est parfait dans son rôle de tueur (rôle qu’il tenait déjà la semaine précédente sur les écrans face à Randolph Scott dans Abilene Town). Plus habitué des comédies musicales que du western, la délicieuse Cyd Charisse qui danse déjà divinement (c’est elle qui aurait du jouer la Salomé de Charles Lamont en lieu et place de Yvonne de Carlo), l’élastique Ray Bolger ainsi que la dynamique Virginia O’Brien, une actrice qui a vraiment trop peu tourné et qui avait pourtant une voix originale et oh combien agréable. Il ne faut pas non plus oublier Angela Lansbury, parfaite et splendidement costumée dans la peau de la prostituée jalouse. Les scénaristes ont donné à tous des personnages fort sympathiques dans la peau desquels tous ses acteurs s’en sortent très bien. Sans oublier le pauvre John Hodiak qui s’est vu villenpidé par une majorité le trouvant fade. Pour ma part, je l’ai trouvé très à l’aise dans ce rôle inhabituel de patron de Saloon romantique qui souvent part en cachette pour aller rêver devant une vallée paradisiaque qu’il a découvert derrière une montagne ; il souhaite secrètement y vivre avec la femme de sa vie qu’il n’a pas encore rencontré. La séquence qui le voit dans ce lieu magique auprès de Judy Garland est un moment d’une profonde tendresse et le fou rire qu’ils prennent avant de rentrer en ville est d’un naturel confondant ; leur couple est donc très crédible et fonctionne à merveille. Quant à Judy Garland, car elle est néanmoins la star du film, elle est exquise en même temps que désarmante de naïveté et de gentillesse dans ce rôle d’une femme moderne ayant quitté son Ohio natal qu’elle trouvait trop vieux jeu pour aller vivre une vie plus aventureuse dans le Far West. Tour à tour vulnérable et forte tête, elle est tout simplement craquante. Son visage est magnifié par la caméra de George Sidney et sa voix demeure toujours aussi belle et inimitable. Il faut l'avoir vue deux pistolets à la main aller semer la terreur dans le saloon au milieu de galants cow-boys galants jouant le jeu car plus amusés qu’effrayés…

Image

Mais c’est aussi grâce à la virtuosité de George Sidney que ce film finalement assez peu connu en France mérite de figurer aux côtés des très belles réussites de la comédie musicale. Moins délurée que pour The Bathing Beauty, la patte du cinéaste n’en est pas pour le moins très vite reconnaissable surtout lors des numéros musicaux : cadrages penchés, montage rapide, étonnants mouvements de caméra aériens, angles de caméras iconoclastes, arrivée des personnages ou de certains objets à flan d’objectifs sans oublier une facilité déconcertante à diriger de nombreux figurants. Lorsqu’il s’agit de filmer des scènes romantiques, Sidney n’hésite pas à filmer de très près nous offrant des portraits en gros plans absolument magnifiques. Deux séquences au moins font montre du génie du 4ème mousquetaire de la comédie musicale, la fameuse chanson de 8 minutes (qui reçu d’ailleurs l’Oscar), ‘On The Atchison, Topeka and the Santa Fe’ au cours de laquelle il nous montre l’aisance avec laquelle il semble diriger des scènes à priori (et même très certainement) très compliquées à gérer ou, tout au contraire, ‘I Shall Love You Through Eternity’ et son plan séquence qui débute avec l’entrée de Cyd Charisse dans le saloon en contre plongée et panoramique latéral ; attirée par Kenny Baker au piano, elle s’installe alors à ses côtés avant d’entamer des pas de danse très sobres, tournoyant autour de l’instrument avec une grâce et une finesse que la caresse de la caméra rend encore plus inoubliables. Autre marque de fabrique du réalisateur, son goût plastique absolument exquis, témoin la chanson de Virginia O’Brien dans l’atelier du maréchal-ferrant, ‘The Wild Wild West’ où le réalisateur joue sur toutes les nuances de brun.

Image

Il y a bien d’autres chansons au cours du film, toutes plus belles et entêtantes les unes que les autres, que ce soit celle qui ouvre le film, ‘In The Valley Where The Evenin' Sun Goes Down’ chantée par Judy Garland en passant par ‘It’s a Great, Big World’ par le trio Garland/Charisse/O’Brien (Cyd Charisse, piètre chanteuse, ayant été doublée) ; on y trouve certains morceaux au montage survitaminé tel ‘To be a Harvey Girl’ ou une éblouissante démonstration de claquette et de danse dégingandé par l’étonnant Ray Bolger qui ne s’était jamais remis de sa scène acrobatique coupée dans Le Magicien d’Oz (on peut heureusement la voir dans les bonus DVD de ce dernier film) ou encore la scène de valse vers la fin du film qui se termine par un long plan séquence parfaitement maitrisé. Les équipes artistiques de la MGM s'en sont données à cœur joie niveau photo, décors et costumes ; c'est chatoyant à profusion. Le ton est chaleureux, enjoué et même si la plupart des séquences musicales pourront paraître un poil trop étirées, le bonheur demeure constant. Une comédie musicale westernienne pleine de rythme et de charme dans laquelle les Indiens sont vêtus en multicolores, les Cow-boys sont rasés de près, les prostituées sont d’une rare élégance, les Bad Guys sont romantiques, les bagarres homériques se déroulent entre femmes, les rixes à poings nus au milieu d’un gigantesque incendie pour rendre le tout plastiquement plus beau et où tout se termine par des mariages et réconciliations.

Image

Arthur Freed, qui ne s’était pas trompé beaucoup jusqu’à présent, eut à nouveau du flair car son film empocha le jackpot ; ses recettes furent au moins deux fois plus fortes que son coût initial. Les amateurs de chevauchées et de morts violentes auront évidemment du passer leur chemin mais les autres auront été probablement conquis par cette brillante reconstitution pleine d’humour et de romantisme. Pas très bien considéré par les historiens du cinéma, j’invite néanmoins à lui redonner sa chance ; il le mérite amplement.
Source : DVDclassik

Répondre