Le Hussard sur le toit - 1995 - Jean-Paul Rappeneau

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Moonfleet
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Le Hussard sur le toit - 1995 - Jean-Paul Rappeneau

Message par Moonfleet » 27 juin 2019, 09:01

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1832, le colonel de hussards Angelo Pardi (Olivier Martinez) qui fuit son Piémont natal après avoir tué un officier autrichien, arrive en Provence où sévit une mortelle épidémie de choléra. Chargé de prévenir ses amis révolutionnaires exilés que les autrichiens sont à leurs trousses, il arrive à Manosque où il est immédiatement accusé par la foule de vouloir empoisonner les fontaines. Il doit se réfugier sur les toits de la ville où il survit grâce à ses explorations des différents appartements abandonnés par la populace. C’est à cette occasion qu’il fait la connaissance de Pauline de Théus (Juliette Binoche) qui ne semble pas craindre la contagion et qui est sur le point de partir rejoindre son époux un peu plus au Nord. Ils vont entamer le voyage tous les deux dans ce pays ravagé par la maladie, cette tragique situation faisant ressortir le pire ou le meilleur des différents individus qu’ils croisent. Une épopée non sans dangers…

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Quel amoureux de ce monument de la littérature mondiale qu’est ce chef-d’œuvre de Jean Giono aurait pu croire qu’une de ses adaptations cinématographiques lui aurait procuré presque autant d’émotions que la lecture du roman ? Mais avec Jean-Paul Rappeneau à la baguette, il n’est finalement pas étonnant que la réussite soit au rendez-vous, surtout que nous avions tous encore en tête sa non moins fabuleuse et virevoltante appropriation du Cyrano d'Edmond Rostand avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre ; Depardieu qui fait d’ailleurs une apparition cocasse, tonitruante et remarquée dans Le Hussard sur le toit. Ce dernier est également une réussite d’autant plus exemplaire que le roman faisait partie de ces soi-disant 'inadaptables', tour à tour s’y étant cassés les dents non moins que René Clément, Jean Delannoy, Giono lui-même, François Villiers, Luis Bunuel, Christian Marquand, Frédéric Rossif, Edouard Niermans…

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S’étant passionné pour le roman de Jean Giono grâce à la sœur de Jean Becker qui le lui avait fait découvrir peu après sa sortie en 1951, Rappeneau a rapproché à l'époque cette "épopée à cheval" du western, genre qu’il appréciait énormément en tant que jeune spectateur. Plusieurs décennies plus tard, décidé à tenter l’expérience à son tour après les multiples tentatives avortées, mais intimidé lui aussi par la réputation du livre, il reçoit de la plupart de ses collaborateurs ainsi que de la fille de Giono le conseil "qu’il ne pourrait réussir son film qu’en trahissant totalement le roman mais en conservant la hauteur des personnages". Le réalisateur le comprenant parfaitement d’autant qu’il était d’accord sur le fait que le roman n’était pas très ‘remuant’, disait "qu’il fallait qu’il réinvente une histoire cinématographiquement crédible afin de ne pas perdre le spectateur". Quant à Giono, l’on sait qu’il avait eu le choc de sa vie en découvrant Stendhal ; avec Le Hussard sur le toit il changeait alors un peu de style et faisait de son Angelo une sorte de Fabrice Del Dongo du début de la Chartreuse de Parme, un naïf perdu dans un monde tourneboulé. Giono nous livrait alors sa vision assez noire du monde, encore sous le choc des délations et de l’épuration de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et en profitait pour régler quelques comptes avec les veules et les lâches, son Angelo perché sur les toits de Manosque regardant le monde d’en bas avec horreur, témoin de la vulgarité, de l’égoïsme, de la cruauté, de la méchanceté et de la bêtise de la foule, prête à lyncher le premier venu par paranoïa galopante.

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Angelo est un personnage assez unique dans la littérature, un jeune homme qui ne se doute pas un seul instant ni de son arrogance ni de son insolence instinctives que nous lui pardonnons d’autant plus facilement qu’il s’agit par ailleurs d’un être spontané, beau, courageux, dévoué et pur, n’ayant peur de rien pas même de la mort, la bravant à chaque instant en sauvant la vie de ceux qu’il rencontre sans qu’elle n’ose jamais s’attaquer à lui, ne pouvant pas laisser une femme sans défense, ne supportant pas l’injustice ni la lâcheté. Un 'ange' foncièrement bon et redresseur de torts qui va tomber amoureux d’une femme qui n’a pas froid aux yeux, un héros romanesque et romantique comme nous avons tous un jour ou l’autre rêvé de l’être ou d’en rencontrer un. Un jeune homme admirable, néanmoins non dépourvu de défauts comme ceux cités en début de paragraphe, ce qui le rend encore plus humain et attachant d’autant qu’il se sermonne lui-même avec une certaine sévérité, ne se trouvant pas assez digne ou honorable, en certaines circonstances pas aussi parfait qu’il aurait souhaité l’être. Comment arriver à incarner ce héros mythique de la littérature française, ce jeune homme naïf, timide, maladroit, soupe-au-lait mais d’une noblesse de cœur qui pourrait passer pour anachronique à notre époque ? Huée par la critique à sa sortie, la prestation d’Olivier Martinez est pourtant tout à fait remarquable ; il EST Angelo et après l’avoir vu, on a vraiment du mal à imaginer quelconque autre en l’occurrence ayant pu faire mieux, se mouvant avec grâce, son cheveux sur la langue le rendant encore plus charmant. Juliette Binoche ne démérite pas, tout au contraire, et leur couple forme l'un des plus romantiques vus sur grand écran ces dernières années, leurs rapports parfois assez cocasse et (ou) mouvementés faisant partie des choses les plus réussies d'un scénario déjà remarquable, la patte de Nina Companeez se faisant alors bien sentir...

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Il ne faudrait pas non plus oublier les seconds rôles, tous croqués à la perfection par une toute jeune Isabelle Carré, un Jean Yanne hilarant mais également François Cluzet, Gérard Depardieu, Pierre Arditi, Yolande Moreau... Nous noterons également la brève apparition de Paul Freeman en toute fin de film, comédien surtout connu pour avoir été le vil Belloq dans la première aventure de Indiana Jones… Outre le fait d’être superbement réalisé, le film de Rappeneau est donc aussi porté à bout de bras par ses acteurs. Malgré la difficulté du projet, le réalisateur des jubilatoires La Vie de château, Les Mariées de l’an II ou Le Sauvage mène son film tambour battant et le maîtrise de main de maître, et ce à tous les niveaux à commencer par une mise en scène déliée, ample et lyrique qui embrase à merveille cette émouvante histoire d’amour entre Angelo, jeune homme fougueux et la belle Pauline de Théus, tous deux traversant la Provence ravagée par le choléra. Angelo est un révolutionnaire italien condamné à mort dans son pays sous domination autrichienne pour avoir tué en duel un officier. Il est poursuivi ainsi que ses amis carbonari en exil dans le Sud de la France ; et c’est ainsi par des combats, des tueries et des courses poursuites que débute le film, en pleine effervescence d’une fête populaire alors que des meurtres ont lieu aux quatre coins de la ville, les espions autrichiens faisant passer de vie à trépas quelques amis d’Angelo. C’est donc par le mouvement que s’ouvre le film alors que le roman de Giono s’appesantissait au contraire sur la chaleur étouffante de cette Provence ravagée par un mal qui la faisait ressembler à l’enfer sur terre, les corbeaux ayant pris la mainmise sur cette région en dévorant les corps défigurés par la maladie et la mort. Cette découverte macabre, le film l’abordera avec un grand réalisme juste après ce prologue qui démontrait d’emblée chez Rappeneau -ce dont nous ne doutions d’ailleurs pas- une ampleur et un sens du rythme assez rare dans le cinéma français d’aventure.

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Rappeneau a su gérer à merveille ses plus de 12 mois de tournage ainsi que son très gros budget –avec ses 26 millions d'euros, il s’agissait à l’époque du plus cher du cinéma français- qui est restitué sur l’écran pour le bonheur des spectateurs qui en ont pour leur argent et leurs émotions : décors, costumes, maquillage, reconstitution... tout est aux petits oignons. Et l’alchimie fonctionne : on tremble (les ravages du choléra, le suspense lié aux espions autrichiens sans scrupules...), on rit (surtout grâce au caractère soupe au lait d’Angelo), on pleure (la mort de différents seconds rôles) et on est ému (la romance). Alors que le scope lui faisait peur, ayant eu au départ dans l’idée de filmer en 1.85, le format très large s’est finalement imposé à Rappeneau et il faut se rendre à l’évidence qu’il l'utilise ici formidablement bien, la photographie de Thierry Arbogast pouvant s’y déployer à merveille, nous octroyant des plans de toute beauté comme ceux -entre nombreux autres- des paysans dans les champs de blé. Le cinéaste maitrise également à merveille ses cadrages et filme les mouvements de foule, les chevauchées et ses séquences d'action avec une grande fluidité. Le réalisateur parlait à propos de son film de Road Movie car ses personnages ne se posent quasiment jamais nulle part, leurs pérégrinations ne semblant jamais devoir se stopper ; et effectivement les lieux de tournage auront été multiples et variés à raison d’environ une cinquantaine de différents. Signalons aussi le score très enlevé de Jean-Claude Petit qui emporte parfois le film dans de belles envolées lyriques, notamment lors des cavalcades dans les magnifiques paysages de la région Rhône Alpes.

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Du vrai, du très bon cinéma populaire dans le sens noble du terme, certainement l’une des plus belles réussites du cinéma français dans ce domaine ; sans vouloir établir de hiérarchie mais seulement dans le but d'attiser la curiosité des plus réfractaires aux Angélique et autres Capitaine Fracasse ou Pardaillan, n'ayons pas peur de dire que nous volons ici à cent coudées au-dessus des œuvres de messieurs Hunebelle, Borderie ou Gaspard-Huit pour ce qui est des films d'aventures 'à costumes' des années 50/60. Comme le décrit Juliette Binoche interrogée pour parler de cette gageure amplement menée à bien, Le Hussard sur le toit "c’est le panache français, de l’enthousiasme, du cinéma large et classique". Une œuvre aussi fougueuse, généreuse, exaltée, virevoltante et somme toute admirable que son héros, une adaptation qui respecte l’esprit du roman tout en le trahissant avec intelligence, mélange brillant de romance et d’aventure.
Source : DVDclassik