Il faut marier papa - The Courtship of Eddie's Father - 1963 - Vincente Minnelli

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Moonfleet
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Il faut marier papa - The Courtship of Eddie's Father - 1963 - Vincente Minnelli

Message par Moonfleet » 25 mai 2019, 17:46

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Tom Corbett (Glenn Ford), directeur des programmes d’une station de radio, vient de perdre son épouse dans un accident. Veuf, il élève seul son jeune garçon Eddie (Ronny Howard) : "Tu n’es plus un mari maintenant papa ?". Attentionné mais rapidement débordé, il loue les services d’une gouvernante (Roberta Sherwood) ; mais une aide ménagère ne peut pas remplacer une compagne et Eddie, ayant promis à sa mère d’aider son père dans l’épreuve qu’ils allaient avoir à affronter, aimerait bien le voir se remarier avec, par exemple, leur voisine de palier, l'infirmière Elizabeth Marten (Shirley Jones). Celle-ci ne rencontre qu'indifférence auprès de Tom, excédé par ses remarques pourtant justes mais blessantes et l'empressement de son entourage à le pousser au mariage. Les deux ‘hommes’ rencontrent ensuite Dollye Daly (Stella Stevens), jolie rousse affectée par sa timidité et un manque de confiance maladif. N’éprouvant que sympathie pour cette dernière, Tom lui présente son employé, Norman (Jerry Van Dyke) qu’elle finira par épouser. La seule femme dont Tom tombe amoureux est une styliste, Rita Behrens (Dina Merrill), femme du monde élégante et maniérée. Il envisage sérieusement de l'épouser mais manque de chance, c’est la seule qui ne plait pas à Eddie, celle-ci ressemblant trop à l’idée que l’enfant se fait des ‘vilaines femmes’ qu’il voit dans ses bandes dessinées. Pour arriver à réfléchir posément et prendre du recul, le couple envoie Eddie passer quelques semaines dans un camp de vacances d’où il fera une fugue, ulcéré de voir son père avoir trahi un secret et se tromper à ce point sur sa future épouse…

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Le début des années 60 se révèle assez difficile financièrement pour les Majors hollywoodiennes. L’âge d’or est révolu et il faut désormais se battre avec de plus en plus de moyens contre un média qui commence sérieusement à lui faire de l’ombre et envahir les foyers, la télévision. Ce sera donc à qui produira les plus grosses "machineries" (sans connotation péjorative) avec pour risque la déroute financière. On connaît les déboires de la Fox après la sortie de Cléopâtre de Joseph Mankiewicz : 40 millions de dollars de déficit à la fin 1962. Le bénéfice de la MGM tombe cette même année de 10 à 2,5 millions de dollars. Ses recettes en ce début d’année sombrent carrément, le studio accusant un manque à gagner de 17 millions de dollars causé en partie par un autre désastre, celui du remake des Révoltés du Bounty avec Marlon Brando, réalisé par Lewis Milestone. Vincente Minnelli lui-même, avait contribué à cette dégringolade budgétaire de la firme du lion avec les résultats catastrophiques des 4 cavaliers de l’Apocalypse en 1961. L’année 1963 débuta pour le studio avec la sortie de Il faut marier papa. La MGM s’attendait au pire pour cette comédie écrite et réalisée par le même duo que pour Four horsemen…, John Gay / Vincente Minnelli et avec le même interprète principal, Glenn Ford. Mais au contraire, elle redora le blason de la firme : les critiques furent élogieuses, charmées par la fraîcheur qui se dégageait du film et le public se rua dans les salles le sourire aux lèvres. Un mini-triomphe s’ensuivra qui donnera naissance par la suite, dès 1969, à une série télévisée de 78 épisodes dans laquelle Jodie Foster fera ses premières apparitions aux côtés de Bill Bixby et Brandon Cruz dans les rôles respectifs de Tom et Eddie. Malgré cette unanimité qui se fit à l’époque autour du film, il reste encore aujourd’hui assez peu diffusé et somme toute très peu connu par le public français. Si au cours d’une discussion, il nous est amené à évoquer Vincente Minnelli, il y a très peu de chances pour que ce titre ressorte et pourtant…

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Il est vrai que la filmographie de l’immense réalisateur est impressionnante en terme de réussites artistiques. De son premier essai, le délicieux Un petit coin aux cieux (Cabin in the Sky), et durant 20 ans, Minnelli va amonceler derrière lui une liste de films admirables, et ce, non seulement dans la comédie musicale, genre pour lequel encore aujourd’hui on le confine un peu trop souvent. Outre ces merveilles absolues que sont dans son genre de prédilection, Le Chant du Missouri (Meet me in St Louis), Le Pirate, Yolanda and the Thief, Tous en scène (The Band Wagon), Brigadoon ou Gigi, au rayon des autres bouffées de bonheur offertes au cinéphile ravi, ce seront donc aussi, sans les citer tous, L’Horloge (The Clock) pour la chronique intimiste, Madame Bovary pour l’adaptation littéraire, La Femme modèle pour la pure comédie, Les Ensorcelés (The Bad and the Beautiful) pour l’évocation du milieu hollywoodien, Celui par qui le scandale arrive pour le mélodrame baroque, La Vie passionnée de Vincent Van Gogh pour la biographie ou encore Thé et sympathie pour le drame psychologique. La passion me ferait continuer et accoler le terme de chef-d’œuvre à tous les titres sus-cités et malgré tout, nous en avons encore oublié un, celui qui nous intéresse ici, The Courtship of Eddie’s Father, bêtement traduit par Il faut marier papa.

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29ème œuvre de Minnelli, il s’agit aussi de sa dernière chronique familiale et de son ultime grand film. Les quelques autres qui suivront seront beaucoup moins réjouissants, voire même médiocres (Melinda), mais sa carrière se clôturera heureusement sur l’attachant Nina dans lequel il fit tourner sa propre fille dans le rôle principal, Liza Minnelli. Mais ne nous égarons pas plus loin dans cette filmographie aux milles pépites et recentrons nous sur ce joyau de sensibilité qu’est Il faut marier papa. Joe Pasternak voulait produire un film d’après le best-seller de Mark Toby et Vincente Minnelli y trouvait beaucoup de qualités. Sans plus attendre, les deux hommes se mettent au travail. Le cinéaste réalise son avant dernier film pour la MGM, studio à qui il a été fidèle depuis ses débuts et au sein duquel il s’est épanoui grâce aux équipes techniques parmi les plus expérimentées d’Hollywood. Bien ancré dans cette firme, il a pu à son aise expérimenter sur les décors, les lumières, les couleurs et construire ainsi son œuvre exquisément raffinée sans qu’on vienne trop lui mettre de bâtons dans les roues. Peu de films autres que Il faut marier papa peuvent se targuer d’avoir rendu avec plus de justesse à l’écran les relations père-fils. L’élégance habituelle du réalisateur est ici encore de mise et permet à ce sujet, qui aurait pu facilement tomber dans la gaudriole ou au contraire dans la mièvrerie, de se maintenir constamment dans une espèce d’état de grâce, le réalisateur scrutant avec toute son intelligence les caractères très bien définis et très riches de tous ses personnages Le scénario est un modèle de subtilité. Basé sur une intrigue assez minimaliste, il se recentre plus sur des portraits que sur des péripéties.

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Celui de Eddie était le plus "casse-gueule" car l’on connaît la complexité de faire jouer sans cabotinage les enfants : Ronny Howard (acteur-enfant de la série Andy Griffith dès 1961, futur Ron Howard, réalisateur à succès de Apollo 13, Backdraft…) est merveilleux de spontanéité et de naturel. Que ce soit dans les scènes purement humoristiques (le dîner avec Dina Merrill) ou au contraire dans d’autres totalement dramatiques, il est constamment imprévisible et somme toute étonnant. Vincente Minnelli avait déjà prouvé son savoir-faire quant il s’agissait de diriger les enfants : il avait réussi à canaliser l’énergie de Margaret O’Brien dans Meet me in St Louis pour ensuite lui faire tourner au cours du film l’une des scènes les plus émotionnellement fortes de l’histoire du cinéma, celle des bonhommes de neige. La scène de la mort du poisson rouge est presque de ce niveau, axée également sur les émotions excessives non contrôlées des petits. A partir de situations très faiblement dramatiques, Minnelli réussit donc le tour de force de nous nouer la gorge alors qu’on ne s’y attendait pas, par l’intermédiaire des enfants, sans que jamais il ne leur en fasse faire trop ou ne tombe dans les clichés. La réaction du père est tout aussi brutale et violente puisqu’à son tour il se met dans tout ses états : "A fish is a fish and his mother is his mother !!!", n’arrivant pas à se faire à l’idée que le chagrin éprouvé par son fils à la mort de son animal puisse être plus grand que lors de celui de sa mère. Du psychodrame en chambre toujours juste et grandement émouvant, jamais agaçant ou pénible comme on aurait pu le craindre. De nombreuses scènes de ce style, axées sur l’intensité des sentiments, alterneront sans cesse avec d’autres franchement tendres ou comiques (voire hilarantes comme le dîner au restaurant) sans que jamais le film en soit déséquilibré.

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Cette réussite est le fait d’une conjugaison de plusieurs éléments : la sensibilité et l’élégance raffinée du style du réalisateur, un scénario remarquablement écrit et resserré et un casting hors pair. Glenn Ford montre une nouvelle fois tout son talent, passant sans problème du drame (Graine de violence) au western (3h10 pour Yuma), faisant des détours vers la comédie avec une déconcertante facilité. Si vous n’en êtes pas convaincus, admirez-le dans la scène finale de réconciliation ou dans cette autre, absolument magnifique, au cours de laquelle Minnelli en profite pour rendre hommage à John Ford. Seul, un soir, Glenn Ford assis devant son téléviseur, les yeux embués de tristesse, tombe sur la scène dans Mogambo où Clark Gable et Grace Kelly se donnent un baiser long et langoureux : un gros plan le découvre alors le visage bouleversé par ces images qui font remonter à la surface des souvenirs de bonheur perdu ; sa solitude et son immense tristesse nous touchent au plus profond de nous-mêmes et il serait vain de vouloir retenir quelques larmes devant tant d’émotions contenues. Mais le personnage du père n’est pas monolithique et pétri de qualités : doté d’une sensibilité à fleur de peau et d’une susceptibilité qui le rendent parfois très injuste envers son fils ou mufle envers sa voisine de palier, la palette de son caractère est immensément riche et Glenn Ford s’en sort avec les honneurs.

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Pour ceux qui taxeraient encore ce film de sexiste (les commentaires des internautes sur IMDB allant pour beaucoup dans ce sens), les trois portraits féminins sont là pour infirmer le contraire même si à l’époque les rapports hommes/femmes étaient moins émancipés qu’à l’heure actuelle. "The girl next door", Elisabeth Marten, dont on se doute, il est vrai, dès le début qu’elle sera l’élue, est une jeune femme divorcée et seule, très serviable mais elle aussi très susceptible et qui s’offusque quand Tom veut la dédommager d’être restée au chevet de son fils toute une nuit. La colère monte et les railleries et insultes partent d’un côté et de l’autre avant que les portes ne claquent pour se terminer en bouderies. Elisabeth, l’infirmière, n’est donc pas toute douceur et c’est tant mieux d’autant plus qu’elle n’a pas tort de se mettre dans de tels états : la muflerie, elle ne veut pas la laisser passer ! "The Lady with the Red Hair", Dollye Dally, belle à damner un Saint, est un personnage attachant au possible. Sexy sans s’en rendre compte, elle a toujours souffert d’un manque de confiance en elle : elle sera "débloquée" par celui qu’on aurait pu juger au premier abord pour un macho inguérissable (superbe prestation de Jerry Van Dyke) et qui deviendra par amour pour elle un être d’une grande délicatesse. Le solo de batterie de l’actrice ou la scène du bowling sont absolument superbes. L’histoire parallèle de ce couple ne vient non plus jamais détruire le parfait équilibre qui règne au sein du film. Enfin la troisième femme, celle qui aurait pu être la plus caricaturale, femme du monde suprêmement élégante, sophistiquée, reste pourtant très intelligente et surtout anti-romantique, réaliste et très compréhensive. C’est la plus terre-à-terre de toutes et la moins emportée : elle ne fera jamais de scandales, ni quand elle comprendra que Tom décide d’abandonner leur relation pour s’occuper plus activement de son fils, ni quand elle verra que ce dernier ne l’accueille pas à bras ouverts : "The Bad Lady avec ses yeux en amandes et sa grosse poitrine". Ces trois caractères totalement opposés sont joués à la perfection et toujours avec justesse par respectivement Shirley Jones, Stella Stevens et Dina Merrill qui ne font pas de ces trois femmes des portraits tout d’une pièce.

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Outre Jerry Van Dyke dont nous avons dit le plus grand bien ci-dessus, nous trouvons aussi dans les seconds rôles l’inénarrable Roberta Sherwood dans la peau de la gouvernante n’ayant pas la langue dans sa poche, dansant la Cucaracha quand le patron n’est pas là et, prenant des leçons d’espagnol pour se rendre en Amérique du Sud rejoindre sa fille, se rend compte à la toute fin du film que le pays où elle doit se rendre est le Brésil, seul pays du continent à parler le… portugais ! Si l’on ajoute pour la partie purement technique des décors discrets et raffinés, une très belle musique de George Stoll ressemblant étrangement, mais pour le meilleur, à certaines partitions de Henry Mancini (surtout le thème langoureux de Dina Merril ou celui plus déluré attribué à Stella Stevens) et la photo délicate de Milton Krasner, nous avons passé en revue tout ce qui fait de ce film, un enchantement de tous les instants. Nombre d’entre vous devriez être conquis par l’intensité des sentiments qui sourd de cette histoire et du désarroi de ce jeune garçon. Mais laissons le mot de la fin à un adorateur de l’œuvre "minnellienne", le talentueux Jacques Lourcelles qui écrit cette phrase dans Le dictionnaire des films aux éditions Bouquins : "Le caractère extrêmement délié du découpage, la finesse de l’interprétation, la magie feutrée de la photo de Milton Krasner (qui cultive particulièrement les tonalités claires et douces et souligne le relief des personnages avec une exquise délicatesse) témoignent, sur un sujet dit ‘mineur’, de l’ultime maturité de l’art de Minnelli". Que j’aurais aimé signer cette conclusion !
Source : DVDclassik