Rapidement, l'empreinte du coloriste J. Alton imprime sa marque sur les premières séquences de suspense et de tension: les teintes s'assombrissent vers le mordoré, laissant les visages totalement ou partiellement éclairés par une lumière vive, diffusée par un ou plusieurs éclairages indirects. On assiste alors à des scènes esthétiquement sompteuses où les bords du cadre plongés dans la pénombre, sont littéralement déchirés par les coloris rutilants du Technicolor: le premier face à face entre Ben et Solly Caspar (T.de Corsia); l'agression du journaliste Marlowe (au cours de laquelle les silhouettes des agresseurs sont projetées sur le mur en ombres chinoise gigantesques); le tête à tête entre June et Ben installé au piano, le final ébouriffant... Pour souligner la nature obscure de l'Organisation Alton se paye même le luxe de filmer le coup de fil d'une taupe infiltrée dans la police uniquement en ombre chinoise. En appliquant au Technicolor ses recettes du noir et blanc, J. Alton donne un cachet hollywoodien luxueux à cette série B, que l'on devine par ailleurs bien fauchée : une seule séquence de groupe réunissant plus de 10 personnages; peu de scènes en extérieurs; la caméra plantée en 2 endroits pour filmer les nombreux va et vient des voitures. Manque de moyens confirmés sur les bonus par le scénariste Robert Blees qui évoque un tournage mis en boite en moins d'un mois !
Et l'histoire dans tout ça ? Contrairement aux échos lus ici et là sur l'inconsistance du scénario, le script n'a rien à envier à ceux d'autres polars du même acabit, reconnus pour leur richesse scénaristique.
Le boss brutal Solly tient la ville dans sa pogne de fer et craint uniquement l'élection du nouveau maire Mr. Propre Frank Jansen (Kent Taylor). Son second Ben, chargé de faire les poubelles pour réunir des indices susceptibles de couler la candidature de Franck , fait plutôt marcher sa cervelle et veut devenir calife à la place du calife. Pour ce faire, il réunit des preuves contre son patron, séduit et utilise June la sécrétaire de Frank, favorise en douce l'élection de ce dernier et la nomination du Chef de police au poste de Préfet; et fait de tout ce beau monde son vassal obligé. La dessus viennent se greffer une soeur kleptomane, alcoolique, légèrement nympho et immature; une romance avortée entre Frank et June, un coup de foudre explosif entre June et Ben, sans oublier la menace latente du retour du gros Solly. On a vu des histoires plus simples !
L'impression de "minceur" scénaristique vient peut-être de l'enchainement abrupt des péripéties qui nous rappelle que l'on est dans une Série B. Et c'est là tout le paradoxe d'une oeuvre utilisant les codes narratifs du B (ellipses, récit dégraissé...), présentée dans un écrin flamboyant.
L'autre intérêt du film réside dans l'absence d'ancrage des protagonistes qui évoluent quasiment en huit-clos, dans une cité balnéaire fictive: Bay City, et dans un contexte mal défini. Qui sont ils ? D'ou viennent ils ? Cette désincarnation des personnages et du lieu confère un caractère intemporel et géographiquement illimité à L'Organisation et à la corruption qui l'accompagne. Bay City: parabole du système mafieux.
Deux Rouquines... est plombé a mi-parcours par le traitement disproportionné du conflit tendance "psy" entre les 2 frangines qui tire l'ensemble vers le mélo roman-photo, mais ça reste un sacré moment de Cinéma.
La galette Carlotta est propre, lumineuse, tout juste traversée par quelque petites rayures verticales sans conséquences facheuses.

