Le repaire du forçat - Deep Valley - 1947 - Jean Negulesco

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kiemavel1
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Le repaire du forçat - Deep Valley - 1947 - Jean Negulesco

Message par kiemavel1 » 18 juil. 2019, 21:20

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Libby (Ida Lupino) vit avec ses parents dans une ferme délabrée, isolée au fond d'une vallée de Californie. Depuis son enfance, prisonnière de la relation malsaine qu'entretiennent ses parents désunis, elle s'est repliée sur elle-même et ne se libère de l'emprise familiale que par ses sorties dans la nature environnante. Au cours de l'une d'elle, elle tombe sur un chantier qui se rapproche de la ferme. Des centaines de forçats de la prison de Saint Quentin et leurs gardiens travaillent au percement d'une route surplombant l'océan Pacifique. Libby est fascinée par l'arrivée de ces étrangers et remarque plus particulièrement Barry (Dane Clark), l'un des détenus, un jeune homme impulsif et incontrôlable.

Dans les jours qui suivent, Jeff Barker (Wayne Morris), l'ingénieur responsable du chantier, se rend à la ferme pour puiser de l'eau et le père de Libby (Henry Hull) en profite pour faire quelques affaires. Le soir, il est invité à la ferme et s'intéresse de très près à la jeune fille qui le repousse tant bien que mal alors que son père s'était absenté, voulant par là favoriser l'initiative de Barker qu'il avait anticipé. Quelques jours plus tard, à la faveur d'un glissement de terrain qui cause de nombreux morts parmi les forçats, Barry, qui avait été mis à l'isolement, parvient à s'échapper, la coulée de boue et de pierres n'ayant fait qu'éventrer sa cellule. Alors qu'il fuit à travers la forêt et qu'une patrouille s'est déjà lancée à sa recherche, il retrouve Libby qui l'entraine dans une cabane abandonnée au milieu des bois. Les deux "sauvages" commencent alors à s'apprivoiser, tandis que la chasse à l'homme s'organise, la police locale et le personnel pénitentiaire parcourant la montagne à la recherche du fugitif...

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Quand Roy Earle (La grande évasion) rencontre Johnny Belinda…Ce n'est pas uniquement à ces deux films que fait penser ce petit bijou de Jean Negulesco car on pense aussi obligatoirement à La maison dans l'ombre en raison de la personnalité des deux principaux personnages et de la situation de départ très ressemblante entre, là aussi, un homme violent et une jeune femme vulnérable….et on y pense d'autant plus que dans les deux cas, le rôle était tenu par Ida Lupino. Je précise que c'est plus un mélodrame romantique qu'un film noir mais les aspects noirs me semblent suffisamment importants pour le placer dans ce topic. Même si ce film est l'un des meilleurs films de son metteur en scène et qu'Ida Lupino a trouvé là un de ses plus grands rôles (un avis que je partage avec Bertrand Tavernier), le premier casting envisagé dès 1942, l'année de la parution du roman laisse tout de même rêveur : Ann Sheridan, Humphrey Bogart et John Garfield. Les raisons du report du tournage initial sont inconnues et celui de 1947 ne fut pas simple non plus. Ida Lupino était en train de renégocier son contrat avec Warner et le studio, sentant que la comédienne n'allait pas vouloir le renouveler, a voulu mettre en boite un film supplémentaire de toute urgence, puis une grève dans les studios Warner empêcha d'y tourner les scènes initialement prévues...ce qui fait notre bonheur car l'une des qualités d'une film qui n'en manque pas, c'est précisément le fait qu'il a été presque intégralement tourné en décors naturels…et ils sont magnifiques. La côte très découpée et les paysages de moyenne montagne auraient été mis en boite dans 2 secteurs distincts de la cote californienne, le " Big Sur " et " Palos Verdes ".
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Un mot sur la situation de mélo de départ qui anticipe déjà certains aspects d'un film ultérieur de Negulesco, Johnny Belinda. Tourné l'année suivante, ce film lui valu une ribambelle de nominations à l'oscar (12 mais un seul billet gagnant pour Jane Wyman, l'interprète du rôle titre ). Libby, sa "soeur" est une jeune femme introvertie, complexée et maladroite qui s'exprime en bégayant. Elle a grandit dans un isolement complet et ses relations sociales sont inexistantes car elle est totalement étouffée par la relation malsaine qu'entretiennent ses parents. Ils ne se parlent plus depuis que Saul a frappé sa femme des années auparavant et ils se sont répartis la maison, Ellie vivant recluse à l'étage, seulement rejointe par sa fille qui est leur messagère, tandis que Saul occupe le rez-de-chaussée d'une ferme qui, laissée à l'abandon, s'est dégradée comme la situation de la famille. Si le père est un rustre qui se sert de sa fille qu'il croit stupide comme d'une domestique, la relation de Libby avec sa mère est encore plus dévastatrice pour la jeune femme totalement sous la coupe d'une mère vivant dans un monde imaginaire et qui la tient, par ses discours délirants, dans la méfiance des hommes. C'est aussi une manipulatrice, simulant un handicap pour mieux tenir sa fille à son service. Alors Libby fuit cet univers étouffant à la première occasion…
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L'homme qu'elle rencontre est au moins en apparence son opposé. Si Libby n'a rien vu de la vie, Barry, lui, en a trop vu. Il s'est retrouvé à 24 ans emprisonné pour une longue durée après avoir été condamné pour un crime qu'il dit n'avoir pas commis. Il prétendra avoir été impliqué dans la mort accidentelle d'un homme qu'il ne connaissait pas un soir où il était ivre, soupçonnant ses accusateurs d'être les véritables auteurs du meurtre. En fait, il est permis d'en douter tant sa violence est grande. Car si lui aussi est un être asocial, c'est en raison de sa violence prête à exploser à la moindre contrariété. Torturé par son passé et d'une nature impulsive, il se montrera incapable d'avoir le moindre controle sur lui-même et semblera prêt à tout, y compris à tuer pour faire face au moindre danger ou pour conserver sa liberté. Contrairement à Libby qui est l'image de la pureté, la personnalité de Barry a été profondément viciée. On avait découvert vraiment la jeune femme libérée de l'emprise de ses parents dans des scènes idylliques de nature filmées magnifiquement par Negulesco. Les scènes champêtres ultérieures seront plus menaçantes dès qu'elles impliqueront le citadin Barry, déplacé et gauche dans une nature qu'il ne connait pas. C'est guidé par Libby qu'il pourra croire y trouver refuge mais les plans de coupe sur des hommes en armes perchés sur les escarpements rocheux ne laissent guère de doute sur l'issue de la chasse.
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Entre temps, il y aura néanmoins eu toutes ces séquences sublimes entre deux êtres transformés par l'amour. La jeune femme totalement dépourvue de confiance en elle et d'estime de soi découvre le sentiment amoureux et surtout le désir car c'est même par là que cela commence, les regards insistants qu'elle jette à distance sur Barry ne laissent guère de doute à ce sujet. Quand Barry l'embrasse pour la première fois, Libby s'arrête aussitôt de bégayer…Ce qui est une découverte totale pour elle est sans doute moins inédit pour Barry mais en fait on n'en sait rien. En tout cas, si Libby est totalement transformée par cette relation amoureuse, Barry semblera prendre ça pour une liberté conditionnelle. Même s'il (re)découvre en lui une capacité à aimer, elle est profondément ternie par le poids de son passé qui, sans même la présence menaçante des hommes qui le traque, réapparait soudainement par la simple découverte d'une arme à feu par le couple, une arme qui lui fera presque peur, toutefois moins que celle qu'elle inspirera à Libby qui avait très vite perçu toute la violence potentielle de cet homme.
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Un mot sur les interprètes. Jouer une jeune fille arriérée, c'était dur à interpréter pour Ida Lupino. Certains acteurs/trices n'éprouvaient aucune difficulté à paraitre bête (Fais comme t'en as l'habitude, coco…) mais pour Ida, c'était un rôle de composition et on a du mal à la croire seulement un peu neuneu. Plus c'est compliqué, plus son personnage s'enrichi et donc plus le film avance et plus elle est sublime. La soi-disant Bette Davis du pauvre vous salue…De son coté, le John Garfield du pauvre, puisque c'est ainsi que Dane Clark a parfois été surnommé est presque à la hauteur mais dès que sa dureté commence à s'estomper, il est un peu en difficulté face à sa partenaire. Dans la violence, l'intensité de son regard et un coté sec et tendu sont parfait mais dès qu'il doit exprimer des sentiments complexes ou même simplement la tendresse, il est plus limité que sa partenaire et cela se voit un peu. Malgré tout, le coté profondément désespéré de son personnage peut faire passer ses limites toutes relatives pour des services rendus. En tout cas, à l'évidence, l'acteur avait trouvé là un de ses meilleurs rôles dans un film noir avec celui qu'il tenait dans Le fils du pendu tourné l'année suivante.
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un mot sur le final mais en spoiler
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C'est en effet sinon un des plus noirs que j'ai vu, un des plus désespérant. C'est un final à double effet. D'une part, Barry meurt, ce qui est dans la logique du récit mais le plan final nous montre une Libby manifestement en couple avec Jeff Barker, l'homme qui l'avait "symboliquement " violé au début du récit. Il n'y a pas de viol contrairement à ce qui se produisait dans Johnny Belinda mais il est plus que suggéré par les avances pressantes de Barker, ses regards sans équivoque, les intentions qu'il manifestait lorsqu'il avait tenté de la coincer dans un recoin de la cuisine des Saul même si elle était parvenu finalement à se dégager
Réalisation : Jean Negulesco / Production : Henry Blanke (Warner) / Scénario : Salka Viertel, Stephen Morehouse Avery et William Faulkner d'après un roman de Dan Totheroh / Image : Ted McCord / Musique : Max Steiner

Avec Ida Lupino (Libby Saul), Dane Clark (Barry Burdette), Wayne Morris (Jeff Barker), Henry Hull (Cliff Saul), Fay Bainder (Ellie Saul)

kiemavel1
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Re: Le repaire du forçat - Deep Valley - 1947 - Jean Negulesco

Message par kiemavel1 » 18 juil. 2019, 22:12

Jean Negulesco et ses interprètes :
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chip
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Re: Le repaire du forçat - Deep Valley - 1947 - Jean Negulesco

Message par chip » 19 juil. 2019, 08:02

J'ai ce film, pas vu depuis longtemps, cette critique me donne envie de le revoir, d'autant plus que j'apprécie ses trois vedettes.

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