Pasolini mort d'un poète - 2003 - Marco Tullio Giordana

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Moonfleet
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Pasolini mort d'un poète - 2003 - Marco Tullio Giordana

Message par Moonfleet » 17 juin 2019, 21:55

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Pasolini, mort d'un poète


Dans la nuit du 2 novembre 1975, le jeune Giuseppe Pelosi est arrêté dans la banlieue de Rome au volant d’une voiture volée appartenant au poète et cinéaste Pier Paolo Pasolini. Le lendemain, on découvre le cadavre mutilé de ce dernier dans un terrain vague à Ostie. Pelosi dit avoir tué Pasolini pour échapper à ses avances. Les médias s’emparent de l’affaire et dénoncent les turpitudes de l’artiste controversé qui n’a jamais caché son homosexualité et qui dérange beaucoup de monde par ses écrits. Si cette simple "affaire de pédés" arrange beaucoup de monde, certains veulent enquêter plus profondément, persuadés au vu des nombreuses invraisemblances qu’il s’agit d’un crime politique plus que d’une vulgaire affaire crapuleuse…

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De la même génération que celle de Nanni Moretti ou Daniele Luchetti, Marco Tullio Giordana est un des très grands cinéastes italiens contemporains mais n’est toujours pas très connu dans l’hexagone : il eut néanmoins un grand succès critique et public avec sa fresque historique couvrant 40 ans de l’histoire italienne depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui, le poignant et absolument sublime Nos meilleures années (La Meglio Gioventu) sur lequel j’aurais beaucoup à dire tellement il m’a profondément touché durant ses six heures que l'on ne voit pas passer ; ce sera peut-être fait un jour ou l’autre. Pour en revenir au réalisateur et pour en faire connaitre un peu plus à son sujet, fils de famille bourgeoise, il fit des études de lettres et de philosophie. Humaniste très tôt fasciné par la politique, il s’en mêle dès le début de sa carrière cinématographique avec dès 1980 un premier film sur le terrorisme, Maudits je vous aimerai ! (Maladetti, vi amerò), récompensé au festival de Locarno. Son deuxième film, La Chute des Anges Rebelles (La Caduta delli angeli ribelli), est boudé par la critique et le public ; cette histoire d'un terroriste poursuivi par ses compagnons de lutte semble beaucoup trop désespérante au goût de la plupart. Contraint à une sorte d’exil cinématographique, il ne signe alors plus que trois longs métrages en vingt ans dont Pasolini, mort d'un poète, un film enquête au style direct pour lequel il abandonne presque tout le formalisme qui d’après Jean A. Gili, le grand spécialiste français du cinéma italien, plombait un peu ses œuvres précédentes.

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Suivront l’excellent Les 100 pas (I Cento Passi) qui dénonce à nouveau les méfaits de la Mafia en suivant le quotidien de Peppino Impastato, journaliste italien assassiné en 1978, puis le succès inespéré et international de Nos Meilleures années qui lui apporte un nouveau souffle. Plus proche de nous, on se souviendra surtout du très bon Piazza Fontana en 2012, autre film/dossier qui aborde cette fois l'attentat à la bombe de 1969 dans le centre de Milan qui fit 17 morts et 88 blessés. Un cinéaste au parcours très intéressant voire passionnant, d'une sensibilité souvent bouleversante et pour qui Pasolini fut l’une des principales figures tutélaires ; il lui voue d'ailleurs toujours une admiration sans bornes, quasi idolâtre, par exemple le titre original de Nos meilleures années étant tout simplement celui du premier recueil de poème du réalisateur de Accatone. "Pasolini était une voix très âpre et sulfureuse [...] Il avait deviné ce qu'allait devenir la politique, la corruption […] Je trouvais très urgent de faire un film qui racontait les circonstances de sa mort et parler de ce qui nous manquait après sa disparition, une intelligence très perspicace […] Tout le monde à l'époque disait qu'il ne s'agissait que d'une histoire de pédés mais […] les choses n'étaient pas aussi simples que la police et les juges ont voulu dire...". Vingt ans après la mort du poète assassiné en novembre 1975, pour éclaircir les raisons de ce crime et devant le manque d’indignation de ses compatriotes, Marco Tullio Giordana revient donc sur le procès arbitraire de son improbable tueur.

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Après des semaines, des mois et des années de discussions avec les juges et les avocats autour de l’affaire, des dizaines d’interviews effectuées, d’innombrables témoignages et procès-verbaux récoltés, Tullio Giordana émet de nouvelles hypothèses quant au meurtre de Pasolini et s’inspire du livre ‘Life of Pasolini’ d’Enzo Siciliano pour écrire son scénario ; après avoir reconstruit à l’identique les décors de sa maison pour qu'elle soit la plus vraie possible, le cinéaste italien se lance dans la réalisation de son film/dossier construit à la manière d’un puzzle d'une fluidité néanmoins jamais prise en défaut. Durant ce très grand laps de temps d'élaboration, il aura surtout aussi effectué un très long travail de documentation afin d’être préparé à pouvoir contrer toutes les objections qui ne manqueraient pas de lui être opposées quant à sa théorie d'ailleurs partagée par beaucoup d’intellectuels et d'hommes de loi.

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Un point de vue donc assez tranché mais qui ne ferme cependant pas les portes au doute, le réalisateur ne faisant pas forcément de ses hypothèses des vérités, ne tranchant pas franchement mais laissant au contraire planer une certaine incertitude qui lui fait honneur. Il en profitait dans le même temps pour dénoncer au passage la société italienne de l’époque, dans l’ensemble alors plutôt réactionnaire et homophobe, voire à ce propos la scène assez glaçante du cours de littérature avec des étudiants aux idées fascisantes. Il souligne les contradictions d'une enquête qui a réduit un assassinat politique à une sordide affaire de mœurs : "c'est une histoire de pédés, basta" dit à un moment l’un des chefs de la police pour pouvoir mettre fin plus rapidement à l’enquête. Par l’incrustation d’images d’archives au sein de la fiction, brouillant parfois les cartes en faisant passer les séquences filmées par ses soins pour des images d’actualités, Giordana monte un peu son film façon mosaïque, rappelant ainsi un peu le J.F.K d’Oliver Stone, certes quand même beaucoup moins efficace et virtuose mais néanmoins constamment prenant, n'oubliant ni les enjeux sociétaux et politiques d’un tel acte pas plus que ses zones d’ombres, laissant supposer que les véritables assassins du réalisateur sulfureux de Théorème auraient été des fascistes et politiciens véreux d’extrême-droite, Pelosi ayant servi de bouc émissaire.

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Un excellent casting d'acteurs pour la plupart inconnus en France, une très belle partition de Ennio Morricone dont un poignant thème principal viennent renforcer cet impressionnant travail d’investigation qui a aboutit à un film noir à tendance documentaire sur le crime de Pasolini qui s'avère par la même occasion un bel hommage voire un cri d’amour en direction de ce cinéaste poète qui fut pour nombre d'italiens l’un des plus grands intellectuels du 20ème siècle. "Il n'appartenait à personne […] il était devenu un personnage public pour pouvoir parler, faire comprendre ce qui se passait dans le pays… ce qui devenait intolérable pour les autorités italiennes […] Après lui, personne n'a plus été capable de faire la même chose […] cette intelligence était pour le pouvoir aussi dangereuse qu'une puissance militaire"… d'où son assassinat ! "Sa perte nous faisait devenir pauvre, moins intelligent, moins perspicace". Rien de très original ni dans l’écriture ni dans la mise en scène - Marco Tullio Giordana fera bien mieux par la suite - mais cependant un "dossier cinématographique" constamment intéressant à défaut d’être captivant tout du long.
Source : DVDclassik

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